8 pistes pour décoder les modèles économiques des MOOCs

Le terme générique de MOOC recouvre en fait une très grande diversité de modèles économiques. Petit passage en revue en préparation d’Open Experience #3 sur l’éducation.

Les Moocs, qu’est-ce que ça change au modèle économique de l’enseignement ?

Les cours et les interactions sociales en ligne entre apprenants sont en très forte croissance et les MOOCs marquent une rupture avec les normes et méthodes de transmission de connaissance. La technologie permet une nouvelle approche de la formation continue pour nous tous.  Elle bouscule les repères. Les acteurs du marché expérimentent et se familiarisent avec ce nouveau possible. Cela les conduit à s’interroger et rechercher des modèles économiquement  viables pour le contenu éducatif qu’ils produisent.

Comme dans de nombreuses ruptures, de nouveaux services et de nouveaux acteurs vont émerger. Un nouveau modèle de la distribution de l’éducation apparaît et les enjeux de modèle économique induits par les MOOCs sont multiples :

  • Les segments de clients : B2B (formation) et B2C (enseignement)
  • L’offre : La production de contenu multimédia professionnel, la formation spécialisée ou individualisée, le tutorat 
  • Les canaux de distribution : les plateformes de distribution de ce contenu éducatif
  • Les ressources clés : les compétences en analyse et sécurisation des données , le design et le management de communauté
  • Les flux de revenu : les possibilité de revente des données
  • La proposition de valeur : les tests, certificats et accréditations pour assurer et garantir un niveau de qualité et d’expertise.

Chacun de ces éléments a son propre mode de fonctionnement et de nombreux nouveaux acteurs spécialisés font logiquement leur apparition.

 

Il n’y a pas un modèle d’affaires unique de MOOCs, il y a un modèle économique pour les plates-formes de livraison et de distribution de cours (type Coursera, edX, FUN…) et un autre modèle pour les universités, les grandes écoles, les instituts de formation, qui créent et possèdent le contenu.

Comme dans le secteur de l’édition, il y a un modèle pour le distributeur et un autre pour l’éditeur de contenu.

1- Le modèle d’enseignement B2C ou B2B classique.

Le modèle B2C est basé essentiellement sur la certification: une fois leur examen réussi, les étudiants doivent payer pour obtenir leur certificat, les instituts leur accréditation (« assurance qualité » du cours).

La plateforme offre en échange le service de vérification d’identité pour ceux qui souhaite obtenir une validation officielle de leur résultats.

Pour la plateforme, plus vous augmentez la valeur de la certification des MOOCs, c’est à dire la valeur perçue pour l’employabilité future, plus les revenus de la plateforme augmentent. Qui va bénéficier de ces revenus ? Les plateformes ou les universités ou un peu les deux ?

L’étudiant qui souhaite obtenir un diplôme doit le payer une fois qu’il a franchi toutes les étapes du cours (Sur Udacity, l’apprenant paie pour passer l’examen 89 USD, voir aussi le concept de « verified certificate » payant chez Coursera). Idéalement, un modèle d’affaires de MOOC bénéficie d’un taux d’achèvement plus élevé (plus d’étudiants suivent le cours jusqu’à la fin), surtout si les revenus dépendent de la délivrance du certificat. Certains cours doivent être prépayés, ce qui augmente le taux des apprenants qui vont jusqu’au bout.

Selon Coursera, 20% des apprenants sont prêts à payer pour obtenir le certificat officiel attestant de leur succès.

Le modèle d’enseignement B2B classique repose sur des partenariats public-privé; des ministères, des ONG ou des entreprises paient pour créer leur propres cours en ligne à des fins différentes. Une grande multinationale avec des milliers d’employés envisage les cours en ligne pour la formation en entreprise. Les universités et les industries pourraient d’ailleurs collaborer pour co-créer le contenu pédagogique.

2- Toucher un nouveau public, de nouvelles communautés d’apprenants

Les MOOCs ont permis de penser l’éducation comme un domaine où les entrepreneurs et les investisseurs peuvent apporter de nouvelles idées et des ressources, chose impensable il y a quelques années ! Beaucoup de sociétés travaillent à la création de cours en ligne, des plateformes de distribution et des services pour les employeurs. Le nombre de cours dans le catalogue mondial devrait donc rapidement exploser. Qui dit nouveaux apprenants, dit aussi nouvelle source de revenu potentiel. Le MOOC cible aussi un public plus large, dont les besoins ne sont pas totalement couverts par les établissements traditionnels de formation continue.

Par exemple, des entrepreneurs qui n’ont en général pas le goût du e-learning, participent au MOOC pour le networking, des étudiants africains francophones participent à des MOOCs de grande école sans devoir payer les frais de scolarité ou faire de classes préparatoires.

Tout le monde peut aujourd’hui suivre un cours de Harvard ou de Stanford en ligne.

3- Le modèle du libre, ouvert, responsable et gratuit

Ce modèle, à la base du phénomène MOOC, propose aux apprenants un accès facile aux cours. Pour rendre l’éducation accessible, les « cours » en ligne ainsi que l’accès au catalogue, sont totalement gratuits pour les apprenants. Dès lors, comment couvrir au moins les coûts de production et rémunérer les enseignants ? Comment payer la production de ces cours, la marge prise par la plateforme et rémunérer les enseignants ? Par des dons ou des financements de fondations. L’exemple principal et emblématique est Khan Academy.

Différents acteurs se sont positionnés de façon spécifique car ils n’ont pas tous les mêmes contraintes. Coursera est une startup technologique, qui n’a pas souhaité être open source, elle se dit orientée étudiants et apprenants, elle domine le marché en terme de parts de marché, mais certaines voix s’élèvent lui reprochant la complexité grandissante de son approche pour concevoir les cours.  edX est une organisation à but non lucratif, qui vient de lancer OpenEdX en open source.

Pour ces deux leaders, les revenus sont partagés entre la plateforme et le fournisseur du contenu éducatif.

FutureLearn est un spin-off privé anglais, créée par une université publique, proche de la BBC, qui ne sera pas confronté aux mêmes contraintes financières. Bien que chaque pays développe ses modèles très différemment, Fun est un l’équivalent français, Iversity allemand, Federica italien, MiriadaX espagnol.

4- Le millefeuille des niveaux de visibilité

Parfois le catalogue de syllabus est visible, les cours payants ou gratuits, parfois l’apprenant doit s’abonner pour avoir accès au catalogue de cours en ligne, avec différent niveaux de service. C’est typiquement le « Netflix de la formation », c’est à dire le modèle économique de contenu à la demande, avec des revenus récurrents proposé par Lynda.com ou OpenClassroom via des packages (mensuels ou annuels).

En échange d’un abonnement, l’apprenant a accès à toutes les vidéos et à de nouveaux cours chaque semaine.

Par exemple, chez Canva, le fournisseur de contenu académique ou corporate perçoit l’intégralité des revenus liés au cours, mais paie une licence, droit d’utilisation à la plateforme. Les « cours » en ligne sont payants et l’accès au catalogue de cours gratuit. Les facteurs de prix peuvent alors inclure le prestige de l’institution, la durée du cours, la renommée de l’enseignant, le coût de production et la qualité du MOOC  (nombre de vidéos, de personnel…)

5- Le mix de la formation, ou modèle « blended »

Les « cours » en ligne sont mis en disposition en supplément gratuit des cours traditionnels qui restent payants. C’est le bon vieux « blended learning », en version améliorée. Ce modèle existe encore pour les entreprises éducatives qui dépendent encore de leur ancien modèle en présentiel, et tentent la transition vers les MOOCs sans vouloir cannibaliser leurs revenus existants.

Le MOOC sert de « produit d’appel marketing/branding », de tête de gondole

Il est alors de niveau basique pour ensuite inciter l’apprenant à s’inscrire à un cours en présentiel payant sur le campus, de niveau plus avancé ou pour proposer un parcours éducatif personnalisé et sur mesure payant. Le modèle du présentiel finance la transition vers le nouveau modèle mixte.

Freemium

Freemium

6- Le modèle bi-face

Le cours est gratuit pour l’apprenant car l’étudiant n’est plus le client. La plateforme « offre » le cours à l’apprenant, mais revend les données des apprenants à des annonceurs, des employeurs, ou des recruteurs. Il convient alors de bien lire les termes du contrat en matière de protection des données personnelles, et de propriété intellectuelle. Dans ce cas, les résultats de chaque apprenant et leur portefeuille de cours sont stockés dans le cloud pour que les entreprises (employeur, chasseur de tête, investisseur) puissent y accéder.

Un grand nombre de clients, universitaires ou sociétés, ne sont pas très sûrs de ce qui se passe lorsqu’une plateforme comme Coursera ou edX « partage » les données des utilisateurs.

Un service de « recommandation » pour les meilleurs apprenants peut être ainsi créé et monétisé.

7- Des freemiums avec des services additionnels payants

La qualité de la résolution de la vidéo est mise en avant, la qualité de la démarche pédagogique, la notoriété de l’enseignant, l’accès en option à des notes de cours, à des études de cas, à des alertes concernant les nouveaux cours disponibles. Ce qui pouvait être inclus dans un cours, devient une option payante.Le tutorat devient aussi la prime de plusieurs modèles « freemium ».

En forte progression également, les services de réseautage et les activités sociales, qui suivent le MOOC. Par exemple : Coursera et EdX multiplie les MeetUps dans chaque ville et les écoles de commerce invitent les porteurs de projet repérés dans les MOOCs à intégrer un de leurs groupes Facebook.

8- Des services externes

Une entreprise qui n’a pas l’expérience de créer un MOOC, sous-traite la production d’un cours en ligne à une plateforme existante, avec des intervenants internes ou externes (un community manager, un chef de projet, des développeurs pour la partie spécifique, des data scientist pour le big data, des analystes, des business consultants).

Une entreprise, ou un institut d’éducation, peut même acquérir sa propre plateforme pour produire ses propres MOOCs. Vu l’investissement en question, il convient de bien réfléchir à la pertinence de cette décision et être capable de rivaliser avec les offres existantes.

Comme chacun des acteurs vient d’horizons différents (édition, vidéo, académique, médias, corporate), il est probable que ces modèles et d’autres vont continuer de co-exister. Les nouveaux entrants continuent d’innover en terme de modèles économiques, pour challenger les acteurs dominants existants.

Cela devrait accélérer la transition de l’éducation vers le numérique, et la colossale transformation des savoirs si bien décrite par Michel Serres et Bernard Stiegler dans cette comparaison avec les révolutions de l’écriture alphabétique et de l’imprimerie dans cette vidéo.

 

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Yves Zieba

À propos de Yves Zieba

Yves Zieba est entrepreneur à Genève. Il a étudié à ESCP Europe, HEC Montreal, IMD et LBS, il s'est spécialisé en stratégie agile et en innovation ouverte. Il a effectué la plus grande partie de sa carrière au sein de grands groupes leaders dans leurs activités: Arthur D. Little, Mannesmann, Degussa, Safran, Total, Thomson Reuters. Yves a été intrapreneur dans un incubateur avant de devenir entrepreneur, il est maintenant un conférencier et mentor de start ups indépendant. Il enseigne auprès des programmes d'executive MBA; de Master et de Bachelor, notamment aux HEG, auprès de l'Université de Genève et de l'EPFL Innovation Park. Il est actif dans le monde associatif français et suisse, il préside l'association Pangloss, qui encourage l'innovation utilisant les modèles économiques ouverts. Il a co-fondé Genevita, une fondation pour le développement de la médecine personnalisée, et fait partie du Conseil Consultatif de Softweb, l'incubateur d'innovation sociale en Suisse Romande. Genevois d'adoption, il anime la communauté des 600 anciens ESCP Europe en Suisse, et est passionné par le sport et par les technologies de transfert du savoir et les nouvelles technologies de l'éducation.

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