Après une expérience de dirigeant et d’entrepreneur, Bernar-Marie Chiquet travaille à développer de nouvelles structures et modes de gouvernance plus ouverts à travers l’Holacracy. Alors, une gouvernance ouverte, ça favorise les modèles ouverts ?
L’Holacracy consiste en une nouvelle définition du pouvoir au sein des organisations, quelle est cette nouvelle forme de pouvoir ?
La meilleure façon que j’ai trouvée pour répondre à cette question est de nous décaler et de regarder comment fonctionne les villes. J’ai lu récemment que dans une ville comme celle de Paris, il y a à peu près entre 2,5 et 3 jours de stock de nourriture. Ce qui veut dire que si tous les transports approvisionnant en alimentation la ville de Paris s’arrêtaient, les parisiens commenceraient à mourir de faim au bout de 3 jours. Je trouve cela fascinant ! Remarquez qu’il n’y a pas de chef, il n’y a pas une personne responsable d’alimenter les parisiens et s’’il y en avait une, il est probable que les résultats seraient beaucoup moins performants. A la place, il y a des règles du jeu (des lois) et la notion de propriété : chaque parisien est libre, il peut s’organiser comme il le souhaite, il a la garantie que s’il remplit son frigo, son voisin ne va pas lui voler de la nourriture. Il y a aussi un système de justice. On voit donc dans ce cas, qu’à partir de régles du jeu et sans chef, un ordre émerge…
L’Holacracy fonctionne de la même manière, même si l’organisation nécessite probablement plus d’alignement qu’une ville : à la place d’un chef et de managers, il y a une Constitution qui inclut les régles du jeu applicables à tous, y compris au PDG ou au CEO qui a décidé de céder son pouvoir de définir les autorités à la Constitution, ou plutôt à des processus contenus dans celle-ci qui vont définir le système d’autorités requis par l’entreprise.
Décider de mettre en place l’Holacracy pour un dirigeant est comparable à passer à un régime constitutionnel pour un roi.
En Holacracy, il n’y a donc plus de hiérachie, ni de managers.
Quels sont les exemples d’organisation ayant mis en oeuvre cette forme d’organisation ?
Il y a, à ce jour, une centaine d’entreprises qui ont choisi ce mode de gouvernance.
Parmi elles, beaucoup résident Etats-Unis où cette nouvelle technologie est née, il y a 5 ans. Nous pouvons citer Medium, réseau social crée par Evan Williams, également co-fondateur de Twitter, David Allen Company dont le fondateur est auteur du best-seller “S’Organiser pour Réussir” et créateur de la méthode GTD (productivité, 60 personnes), IMC2 (Communication, 350 personnes) et enfin Zappos (e-commerce, 1 500 personnes) qui a fait beaucoup parlé d’elle récemment. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, l’Holacracy n’est pas réservée qu’à des start-up et semble convenir à des sociétés de taille différente allant, pour le moment, jusqu’à 1500 personnes.
En France, plusieurs organisations ont franchi le pas : nous pouvons citer SOPRODI, une PME industrielle dans le centre de la France, Castorama qui a été l’un de nos premiers clients à mettre en place l’Holacracy dans sa Direction Commerciale, Kingfisher qui lance également un pilote en ce moment même.
De façon générale, les Etats-Unis restent devant, talonnés de près par la France qui est le leader sur le sujet en Europe. Quelques sociétés en Belgique et en Hollande commencent à le mettre en place également.
Il est difficile de dégager des tendances à ce stade sur le type d’entreprises. Les entreprises dans lesquelles nous intervenons vont de quelques personnes à plus de 100 000 personnes. L’ensemble des secteurs semblent également intéressés : les entreprises commerciales classiques, le mode associatif, l’économie sociale et solidaire, et même les collectivités territoriales.
Donc l’Holacracy ne semble pas réservée qu’aux startups contrairement à ce que j’ai pu lire dans certains articles.
À quel type de contexte l’Holacracy est-elle particulièrement adaptée ?
L’expérience de ces dernières années nous montre qu’il ne semble pas y avoir de pré-requis à la mise en place de l’Holacracy. En même temps, je suis étonné, à chaque fois que j’anime un Comité de Direction sur une journée pour leur faire découvrir et essayer, d’observer à quel point ils sont prêts à vivre cette expérience. Ils ont déjà la philosophie, il leur manque simplement les outils.
Ce que les entreprises recherchent est en réalité assez varié. Nombre de Dirigeants cherchent à gagner en clarté et en agilité : ils rêvent d’une organisation simple, explicite, claire et qui ait les capacités de changer aussi vite que le changement lui-même. Un CEO d’un très grand groupe veut que cette grosse machine de plusieurs dizaines de milliers de personnes fonctionne comme une startup.
D’autres cherchent à supprimer les effets silos et gagner en transversalité afin “que tous aillent dans le même sens, celui de la raison d’être de l’organisation”.
D’autres encore souhaitent autonomiser leurs collaborateurs. Certains recherchent un environnement sain doté des bons nutriments pour que les plantes (leurs collaborateurs) puissent se développer dans les meilleures conditions. D’autres encore, veulent des collaborateurs plus engagés, plus motivés…
Il y en a qui veulent gagner en productivité : simplifier les organisations et faire plus avec moins, éradiquer toute forme de bureaucratie, rétablir une transparence impeccable afin de mettre en lumière les choses telles qu’elles sont, de façon impitoyable, où il n’est plus possible de se cacher. Certains fondateurs veulent transmettre leur entreprise. Certains veulent accroître les capacités d’innovation.
Je constate qu’il n’y a pas une seule raison pour laquelle un dirigeant s’intéresse à l’Holacracy : il y en a de nombreuses que je ne peux lister ici de façon exhaustive. Plus que la raison qui motive un tel choix, il est nécessaire que le dirigeant qui initie cette bascule ait vraiment l’envie et trouve l’énergie suffisante pour conduire un tel changement.
“La recherche montre que lorsque la taille d’une ville double, l’innovation et la productivité par habitant augmente de 15 pour cent. Mais lorsque la taille des entreprises augmente, l’innovation et la productivité par employé tend généralement à baisser. Aussi, nous sommes en train de chercher à structurer Zappos plus comme une ville que comme une société bureaucratique. Dans une ville, les gens et les commerces s’auto-organisent. Nous essayons de faire la même chose en passant de la structure hiérarchique habituelle vers un système appelé Holacracy, qui permet aux employés d’agir plus comme des entrepreneurs et d’auto-déterminer leur travail au lieu de s’en référer à un manager qui leur dit ce qu’il faut faire “ Tony Hsieh CEO de Zappos
Quel lien avec le contenu de la stratégie ou des actions ? L’Holacracy permet-elle de converger vers un certain type de but ?
Le “Comment” fournit par l’Holacracy est en permanence sous la coupe du “Pourquoi”, et du Sens. L’Holacracy est un système d’alignement de toutes les actions sur le Why de l’entreprise, ce que vous semblez mettre derrière le mot Stratégie, que je ne reprends pas car en Holacracy ce mot a un autre sens.
Le Sens de l’entreprise ou de l’organisation et son impact sur le Monde est central en Holacracy : c’est ce que j’appelle la Raison d’Être, à partir de laquelle tout le travail à faire découle et qui attire toutes les tensions évolutives dont l’organisation a besoin comme des énergies pour évoluer.
La Raison d’Être est définie en Holacracy comme étant le potentiel créateur le plus puissant que cette organisation est à même de manifester compte-tenu de toutes ses ressources. En d’autres termes, qu’est-ce que le Monde attend de cette organisation ? Qu’est-ce qu’elle apporte au Monde ? Si elle n’existait pas, le Monde perdrait quoi ?
Il y a 4 éléments clés en Holacracy : la Constitution, la Raison d’Être, la Structure et le Pilotage Dynamique. La Constitution est le régime de gouvernance, la Raison d’Être est la source des deux éléments clés que sont la Structure et le Pilotage Dynamique.
La Structure en fonctions/cercles (équipes) et en rôles est déclinée à partir de la Raison d’Être de l’entreprise. Celle-ci est en permanence ajustée via un processus particulier (appelé processus de gouvernance) à partir des tensions ressenties par les collaborateurs (Une tension est le ressenti d’un écart entre la réalité actuelle et un potentiel perçu, ce que cela pourrait être. Cela peut être une frustration ou au contraire de l’excitation. Ce mot est utilisé de façon neutre). La structure va donc évoluer pour se rapprocher de celle qui émerge, d’un potentiel qui ne demande qu’à s’actualiser, de sa Raison d’Être tout simplement.
L’Holacracy est un système de gouvernance centré sur la Raison d’Être de l’organisation, vue comme une entité à part entière. Ce processus devrait enfin nous permettre, à nous les humains de sortir de la dualité « For Profit/Lucratif » versus « Non Profit/Non Lucratif » pour une nouvelle génération d’organisation alignée sur leur Raison d’Être.