A l’occasion de la soirée OpenExperience spéciale OpenScience, nous avons interviewé Allain Rallet, économiste au sein du laboratoire RITM (Réseau Innovation – Territoire Mondialisation) à Paris Saclay. Spécialiste de l’économie du numérique, nous lui avons demandé d’apporter son regard sur l’économie de la connaissance et sur l’impact du numérique en recherche. Il nous montre ainsi en prenant l’exemple du crowdfunding que les transformations apportées par le numérique ne se situent pas seulement au niveau du financement. C’est surtout l’émergence d’organisations innovantes pour favoriser la créativité en recherche qui est en jeu.
Quels sont selon vous les points communs entre les nouveaux modèles d’affaires du numérique et celui des connaissances, plus spécifiquement dans le domaine de la recherche?
Le numérique offre la possibilité de voir émerger d’autres modèles économiques liés à de nouvelles façon de produire et distribuer des services et des produits. Si l’on prend le domaine des industries culturelles, c’est une économie des stars et des bestsellers qui récoltent l’essentiel des recettes aujourd’hui. Les autres artistes peuvent difficilement vivre de leur caméra, de leur plume, de leur musique etc.
Avec le crowdfunding, les artistes cherchent des financements que l’industrie ne leur assure pas. Car malgré leur talent, ils ne sont pas dans les formats requis.
Le crowdfunding permet la construction d’un écosystème et aussi d’un public.
Les financeurs sont aussi des prescripteurs et des diffuseurs. La constitution de ces micro-commuanutés vont permettre aux auteurs, artistes de rencontrer leur public et vivre ainsi des revenus qu’il leur assure. Ce sont des opportunités qu’ouvre le numérique mais qui ne sont pas forcément garanties par ces technologies.
Nous pouvons aussi appliquer cela à la recherche et à l’économie des connaissances qui subissent un formatage croissant en lien avec les règles du “publish or perish”. Cela représente un risque pour la créativité et l’innovation.
Est ce que le numérique ne permettrait pas une autre organisation de la production, l’édition, la diffusion et la valorisation des connaissances qui existent aujourd’hui? C’est une grande question qui concerne toutes les branches d’activités mais aussi la recherche.
L’Open Science et toutes ses déclinaisons (Open Knowledge, Open Research) pourraient faire émerger d’autres types d’organisations s’appuyant sur des pratiques collaboratives.
Bien qu’inhérent à la science, le caractère collaboratif et coopératif de la production scientifique est dénaturé aujourd’hui par un phénomène de privatisation des connaissances.
Comment ces nouveaux modèles se situent par rapport aux modèles dominants : renversement, concurrence ou complémentarité?
Comme pour le crowdfunding dans l’industrie culturelle, on peut se demander si cette organisation alternative vient ou doit se substituer à celle existante? Peut-on se passer de subvention publique par exemple ?
Dans le domaine de la recherche, les subventions sont justifiées par le fait que la science produit des externalités. Si on laisse faire le marché, nous aurons un sous-investissement . Car les investisseurs n’ont pas la certitude de récupérer la totalité des effets des connaissances produites. Les subventions publiques sont donc nécessaires même si elles sont associées aujourd’hui à des greffes marchandes c’est à dire des entreprises privées autour de la gestion et le transfert des connaissances. C’est le cas par exemple d’un grand nombre d’éditeurs scientifiques.
Avec l’Open Science, se pose une question essentielle en terme de stratégie. Si elle se développe, il faut assurer les garanties de son émergence.
En essayant de la substituer à la recherche aujourd’hui, le risque serait d’étouffer l’initiative.
Est ce que l’on pourrait financer les recherches par du crowdfunding plutôt que par des subventions publiques?
Si on pose la question en termes de substitution, je pense qu’aujourd’hui la réponse est non. Par contre, le crowdfunding peut permettre le financement et l’innovation dans des domaines de connaissances qui aujourd’hui ont du mal à se développer à cause du formatage à l’échelle nationale et européenne des financements.
De plus, le crowdfunding peut être aussi considéré comme moyen d’organiser et de consolider des communautés scientifiques. Elles existent déjà mais sont entre les mains d’associations qui font appliquer des normes et des règles.
Les communautés pourraient agir de manière plus informelle, auto-organisée aussi bien au niveau des publications des connaissances que sur l’évaluation.
Derrière tout cela, c’est un enjeu stratégique qui se pose et qui est transverse à tous les domaines d’activité.( commerce, santé, éducation). A quelles conditions ces opportunités technologiques vont-elles faire émerger des organisations innovantes ?
Quels sont les enjeux derrière ces organisations innovantes portées par l’Open Science?
Elles pourraient permettre plus de diversité dans les connaissances. Les innovateurs dans le domaine de la science ne sont pas ceux qui répètent. Or aujourd’hui, si l’on mettait 70% des articles publiés à la poubelle, le stock des connaissances de l’humanité ne baisserait pas. Recherche ne rime pas avec créativité.
L’Open Science serait un moyen d’encourager les dissidents, les créatifs, les apporteurs d’idées ou de méthodologies nouvelles. On sait que dans toute l’histoire de la Science ce sont les déviants, les personnes qui se situent aux frontières qui ont fait avancer les connaissances.
L’interdisciplinarité est un bon exemple. Les subventions de l’ANR ou européennes financent assez facilement des projets interdisciplinaires. Mais au niveau de l’évaluation, le cadre reste disciplinaire ce qui invalide les chercheurs. Peut être que ces nouveaux modes d’organisation pourraient créer des caisses de résonance aux travaux interdisciplinaires ? La situation actuelle serait débloquée grâce à une incitation en terme de publication et d’évaluation.
Bien sur, pour le crowdfunding, il faut se méfier du financement allant dans le sens de l’opinion dominante. Ces nouveaux modèles favorisent des recherches audacieuses, même s’ils ne permettent pas d’assurer la totalité du financement. Un bon moyen de stimuler la créativité dans le domaine de la science.
Pour en savoir plus : venez rencontrer Alain Rallet le 17 juin à la soirée “OpenScience : phénomène de mode ou mouvement durable?“
Crédit photo : Digipolis