Interview de Christian Quest, Président d’OpenStreetMap France par Chloé Bonnet en préparation d’Open Experience #6 sur les data le 30 juin.
C’est quoi la révolution OpenStreetMap – s’il y en a une ?
Le fondement de la révolution OSM, c’est le fait d’offrir aux citoyens le pouvoir d’agir sur la carte. Les individus qui étaient autrefois de simples consommateurs de cartes peuvent aujourd’hui en devenir co-producteurs.
Avant que la carte n’arrive entre les mains des citoyens, elle a d’abord été l’instrument de la guerre, et un outil de pouvoir. L’ancêtre de l’IGN, c’était le Service Géographique de l’Armée, dont les efforts visaient à faciliter les déplacements des soldats sur le terrain. Et dans le meilleur des cas, la carte permettait d’établir les cadastres pour collecter les impôts.
Finalement, OpenStreetMap a conduit à la démilitarisation de la carte, à sa démocratisation et à sa réappropriation à grande échelle.
On a beaucoup parlé de vos actions autour du virus Ebola en Guinée. Quelles sont les projets les plus marquants d’OpenStreetMap ?
Il y a eu un événement fondateur dans l’usage “humanitaire” d’OpenStreetMap : le séisme à Haïti en 2010. Depuis ce jour, OSM est activement utilisé dans la gestion de ce type de crises. De temps en temps, cet usage est rendu visible par les médias lorsqu’ils “couvrent” la crise en question. Mais en réalité, l’usage humanitaire d’OSM est permanent, depuis les inondations au Soudan, jusqu’aux récents séismes en Turquie.
Et puis, il ne faudrait pas réduire cet usage à des causes lointaines : l’humanitaire, c’est aussi à quelques encablures de nos maisons. On a des cas d’étude remarquables sur le territoire français. Par exemple le partenariat avec SNCF Transilien qui a permis de cartographier l’accessibilité des gares pour les personnes à mobilité réduite. Après une phase expérimentale, SNCF a industrialisé le processus et embauché des Junior Entreprises pour cartographier plus de 300 gares en Ile-de-France.
En soit, cela ne constitue pas nécessairement des actions humanitaires spectaculaires, mais c’est néanmoins très utile. Utiliser la carte pour faciliter l’accès en gare aux personnes handicapées, c’est aussi oeuvrer pour la collectivité.
OpenStreetMap en France, ça représente combien de contributeurs ?
Nous sommes entre 2000 et 3000 contributeurs actifs par mois, ce qui représente une bonne moyenne comparé à d’autres pays. Si nous prenons l’exemple des États-Unis, la multiplicité et la granularité des jeux de données qui ont été publiés en Open Data a freiné la constitution d’une communauté très active. Là où en France les contributeurs ont tendance à créer de la donnée (en intégrant, par exemple, une nouvelle rue, un nouveau bâtiment), aux États-Unis, il s’agit plutôt de corriger de la donnée publique, ce qui peut paraître moins motivant ou gratifiant.
Donc le relatif retard des institutions françaises sur l’ouverture des données géographiques a presque été un bienfait pour OSM france ?
C’est paradoxal, mais oui ! Ce retard a permis de fédérer une communauté de personnes qui, pour des raisons qui leur sont propres, ont eu besoin de données géographiques spécifiques. L’offre n’existant pas ou étant incomplète, ils se sont mis à collecter leurs propres données, et OSM est devenu leur outil.
Dans quelle mesure ce modèle contributif est-il viable ?
Ce qu’il y a d’intéressant dans le modèle d’OSM, c’est qu’on peut tous contribuer. Quand on montre une carte de son quartier à quelqu’un, il a toujours des choses à dire : que ce soit pour préciser que son fleuriste à mis la clé sous la porte il y a quelques semaines ou que les horaires d’ouverture de sa boulangerie ne correspondent pas à ce qui est indiqué.
On n’a nullement besoin d’être spécialiste pour connaître l’environnement dans lequel on vit, d’autant plus que la contribution à OSM est relativement accessible aux non-techniciens. Tout ceci fait que quoiqu’il arrive, nous avons un renouvellement permanent de nos contributeurs.
C’est d’ailleurs ce qui, en substance, nous différencie de Wikipedia. A l’heure actuelle, pour prétendre compléter un article sur un sujet donné, il faut pouvoir démontrer que l’on est un expert du domaine. Tandis que pour ajouter un commerce près de chez soi à une carte existante, on ne vous demandera jamais d’avoir un master en géographie !
En revanche, plus une zone est densément cartographiée, plus les contributions ont tendance à diminuer. Là où la donnée géographique a constamment besoin d’être actualisée, cet état de faits pose problème. Par exemple en Ile-de-France, qui est un territoire bien informé, on a une fausse impression de complétude alors que beaucoup de choses restent encore à cartographier, préciser. Chaque jour des commerces ouvrent et ferment, de nouvelles zones résidentielles se construisent, on a des données sur la localisation des restaurants, mais pas sur leur accessibilité, etc.
Un autre obstacle à la contribution peut être l’absence de culture de la donnée géographique. On le voit même avec les développeurs qui savent manipuler de la donnée mais qui sont généralement assez novices en matière de données géographiques. C’est comme passer de la plomberie à l’électricité : il faut renouveler la caisse à outils.
Comment soutenez-vous vos activités ?
OSM n’a pas vocation à développer un quelconque modèle économique. Nous nous contentons de travailler la donnée de manière bénévole et collaborative. Les services qui se créés autour des jeux de données que nous publions représentent un champ en dehors de notre mission, que nous laissons libre à d’autres initiatives.
La Fondation OSM est financée par des aides ponctuelles publiques ou privées et gère l’ensemble de l’infrastructure. La gestion administrative et celle des serveurs sont laissées aux bénévoles. Au niveau mondial, notre budget annuel de fonctionnement est de 100 000 à 200 000 euros, ce qui parait vraiment peu comparé à d’autres acteurs du domaine comme Wikipédia ou Mozilla.
En revanche, d’un point de vue individuel, chaque contributeur est libre d’avoir une activité professionnelle ou économique liée à OSM. Il est important de bien dissocier l’activité de la communauté OSM, appréhendée comme un tout, et les possibles initiatives annexes et individuelles de ses membres.
On a pu remarquer, lors de State of the Map, votre rencontre annuelle, un Intérêt croissant des organisations publiques ou privées pour OSM. Que penses-tu de ce rapprochement ?
Un projet comme OSM n’est pas uniquement pensé en vue de collecter de la donnée cartographique, mais aussi d’en pousser l’usage. En général, nous nous réjouissons des réutilisations.
Le principal élément qu’il faut scruter, c’est l’esprit dans lequel cette réutilisation est faite. Est-ce que cela répond à une logique de prédation, dans un esprit d’accaparement, ou est-ce que ça a lieu au contraire dans un esprit d’échange ? Aux entreprises qui tombent dans la première catégorie et consomment nos données sans en respecter la licence par exemple, on rappelle simplement qu’OSM n’est pas seulement une base de données gratuites. Et qu’il y a quelques règles du jeu à respecter, dont celles de l’attribution et de la logique de partage.
Dans la plupart des cas, on arrive à trouver un terrain d’entente qui bénéficie à l’ensemble des parties prenantes. Et le fait que des entreprises se raccrochent au mouvement représente également une vraie satisfaction : cela vient valider la qualité du travail des contributeurs.
Et quelles relations entretient OpenStreetMap avec des acteurs comme Mapbox ou Telenav ?
Ces acteurs valorisent le résultat du travail des contributeurs. Ils ont également un rôle de facilitateurs, car ils permettent aux organisations d’intégrer des briques OSM dans des projets d’envergure.
Comme je le disais plus tôt, ceci ne fait par partie du coeur de notre mission. Nous ne revendiquons pas ce savoir-faire. Chacun maîtrise son champ d’expertise et a conscience que la propriété des données ou du code n’est nullement en question.
Toutefois, Mapbox a des capacités d’investissement qui lui octroient une place prédominante sur le marché. Nous faisons simplement attention à ce qu’ils ne se créent pas de monopoles desquels OSM deviendrait dépendant.
La Conférence de Paris a été révélatrice d’un nouvel état de faits, l’Open Data a passé un cap…
En effet, il y a encore peu de temps on avait tendance à avoir une vision idéaliste de l’Open Data. On entendait partout que l’Open Data était le nouveau pétrole, que ça allait déclencher un regain économique via la création miraculeuse de start-ups, que tout le monde devait s’y mettre. Ce côté “à la mode” du mouvement avait quelque chose de déceptif car on pouvait très vite penser que l’Open Data ne tenait pas ses promesses.
Aujourd’hui, l’effet communiquant s’est estompé et cela permet d’aborder des sujets plus profonds. Typiquement, l’Etat a compris que l’Open Data était aussi synonyme d’efficacité en interne, un outil de gouvernance collaborative permettant de décloisonner les institutions grâce au partage. Puis, il y a une montée en puissance des sujets relatifs à la transparence, à l’Open Government. Certes, il reste encore du chemin, notamment concernant l’ouverture des données financières ou des lobbys, mais il est rassurant de voir que le chantier est en cours et que les acteurs publiques vont dans le bon sens.