Evolutions récentes, transformations à venir, dark side et enjeux. Christine Balagué, chercheur de référence sur les réseaux sociaux nous livre son point de vue.
Christine Balagué fait partie des chercheurs qui comptent dans le numérique et les réseaux sociaux (Titulaire de la Chaire réseaux sociaux à l’Institut Mines-Telecom, Co-Présidente du Think Tank Renaissance Numérique et Présidente de la commission services de Cap Digital).
Elle a récemment co-écrit un ouvrage sur les réseaux sociaux qui se distingue en proposant une synthèse globale du sujet (enjeux d’usages, sociaux et sociétaux, modèles économiques et perspectives, exemples internationaux et français).
Elle incarne la collaboration fertile entre chercheurs et entreprises tout en ayant une action sociétale sur les sujets numériques.
Christine a eu la gentillesse de répondre à quelques questions entre deux rendez-vous parisiens.
Elle a animé conférence le 27 septembre 2012 sur : les modèles économiques des réseaux sociaux. Info
Quelles sont les principales évolutions amorcées par la montée en puissance des réseaux sociaux ?
Tout d’abord, le marketing au sens large (de la communication à la gestion de la relation client) est bouleversé dans ses pratiques et dans son économie. Les prises de parole directes des marques sur les réseaux sociaux (sans intermédiaires de messages publicitaires) et la conversation entretenue avec les consommateurs (sans la médiation du marketing direct et par le community management) transforment la façon dont les marques conçoivent et mettent en œuvre leurs stratégies marketing. Egalement, c’est l’économie du marketing qui est modifiée et le rôle des acteurs tout au long de la chaîne est remis en question : quel avenir pour les agences média ? quelle contribution attendue de la communication institutionnelle ?
Plus particulièrement sur le CRM, tout est à inventer. Le modèle même du call center est à redéfinir. La majorité des initiatives CRM est pilotée par des indicateurs de productivité (combien d’appel par téléconseiller, quelle durée des appels). Le paradoxe de ces approches est rendu criant par les réseaux sociaux : alors qu’on disait se préoccuper de la relation client et de la satisfaction du client, on mesure seulement des indicateurs d’effort, de moyen sans prendre en compte le résultat. Les entreprises ont du mal à mesurer l’impact de ces call centers sur la relation client et la satisfaction. C’est la prochaine évolution qui s’ouvre.
Au-delà du marketing quelles autres mutations sont à l’œuvre ?
Deux autres transformations sont particulièrement saillantes. L’innovation ouverte et l’innovation sociale.
On constate que les innovations majeures récentes ont été développées par des approches ouvertes et collaboratives. Cela constitue une rupture importante dans le modèle qui dominait d’investissement fort en R&D pour développer des technologies propriétaires. L’indicateur R&D sur Chiffre d’affaires ne permet plus d’appréhender le dynamisme de l’innovation d’une organisation. Evidemment, cette évolution pose de nombreuses questions sur la propriété industrielle. Une approche d’innovation ouverte et collaborative est contraire à une certaine forme de protection. Il est très probable que de nouvelles formes de propriété, plus distribuées émergeront.
La deuxième transformation induite par la généralisation des plateformes sociales est la préoccupation grandissante des individus pour un rééquilibrage du partage entre l’entreprise et la société. Les valeurs de partage et de lien social qui sont au cœur des plateformes sociales impliquent que ces valeurs soient également incarnées par les projets qui se développent autour des plateforme. La quête du profit comme objectif unique est incompatible avec ces dynamiques.
Au-delà de ces évolutions positives, quelle est la dark side des réseaux sociaux ?
Incontestablement, la question de la privacy et de la monétisation des données constitue la question qui structurera les évolutions de modèles.
Les premières et plus massives plateformes sociales se sont construites sur un modèle où la donnée est d’une part publique et d’autre part détenue par la plateforme. On sent bien aujourd’hui que ces hypothèses sont contestées par les utilisateurs de ces plateformes. On voit également que de nouvelle plateformes émergent, construites sur un modèle opposé où la donnée est privée. Si ces nouveaux modèles se généralisent, c’est l’économie entière des plateformes sociales qui se verrait menacé. A qui appartient la donnée ? Selon la réponse qui se construira progressivement, certains modèles que nous connaissons seront renforcés ou affaiblis. On pourrait imaginer par exemple que la donnée reste la propriété de l’individu et qu’il la monétise auprès des plateformes.
Pour conclure, quelles sont les tendances à venir ?
Deux champs colossaux interdépendants sont ouverts : l’internet des objets et le big data. Les objets vont devenir de plus en plus communiquants, ils vont collecter et transmettre des données (c’est l’exemple du compteur de GDF). Il va se poser pour ces données la même question que celle qui est posée aujourd’hui sur les données individuelles : à qui appartiennent-elles ? qui peut les monétiser ? comment se répartit la valeur créée ?
Liée à cette évolution, le big data est une tendance importante. La question est différente pour ce sujet, elle se pose en termes d’organisation et de compétence pour les entreprises. Les stratégies big data requièrent des compétences multiples (humaines, techniques, informatiques, organisationnelles, …) que les entreprises ont souvent du mal à synchroniser. La mise en œuvre de ces stratégies bouleverse les organisations fonctionnelles et matricielles. La question est donc de trouver l’organisation et les processus pour saisir les opportunités offertes par ces technologies.
Pour plus d’information sur Christine Balagué et ses travaux : http://www.christine-balague.com/