Flore Berlingen est la directrice de Zero Waste France qui promeut une société sans déchets et sans gaspillages. Elle nous dit en quoi les modèles ouverts et collaboratifs nourrissent (ou pas) cette ambition.
Zero Waste France agit pour réduire l’empreinte des déchets individuels et industriels, quels sont vos constats sur le lien entre modèle économique et réduction des déchets, certains modèles sont-ils plus vertueux que d’autres ?
Le premier constat à faire est que le modèle industriel dominant génère de plus en plus de déchets : de plus en plus d’emballage, des produits à la durée de vie de plus en plus courte, des ressources toujours plus exploitées. On parle d’économie linéaire.
Plus encore, on voit que certains mécanismes d’incitation sensés corriger cette situation ne sont pas efficaces ou même fonctionnent à l’envers. Par exemple, les opérateurs de traitement des déchets en France sont payés en fonction du tonnage traité. Plus ils traitent de tonnes, plus ils sont rémunérés. On a même vu des situations où certaines villes s’engageaient contractuellement à un certain volume et payaient des pénalités si ces volumes n’étaient pas constatés. Certains ont donc un intérêt direct à ce que les déchets soient de plus en plus nombreux. C’est un peu en train de changer mais encore de façon marginale ou anecdotique. Dans certains cas, un mécanisme d’incitation vertueux a pu être mis en place dès le départ. Par exemple, le contrat qui lie la ville de San Francisco à son opérateur Recology prend en compte leur capacité à réduire le volume de déchets. L’opérateur perçoit un bonus s’il traite moins de déchets.
Plus fondamentalement, les mécanismes en place apportent une réponse au financement du traitement des déchets mais pas à la réduction des déchets à la source. C’est le cas des filières REP (responsabilité élargie du producteur) avec l’éco-contribution qui impose aux producteurs de contribuer au financement du tri et du recyclage de leurs produits. Cependant, les mécanismes de modulation de cette éco-contribution n’incitent que très peu à réduire le volume des déchets. Par exemple, les incitations destinées aux industriels pour qu’ils conçoivent des emballages faciles à trier et recycler sont assez importantes et lisibles (des pénalités pour les perturbateurs du tri !), mais le message est beaucoup moins clair et financièrement convaincant en ce qui concerne la prévention (c’est à dire réduire ou éviter l’emballage). D’une manière générale, c’est encore beaucoup moins cher pour un industriel de fabriquer un produit jetable que conçu pour durer.
D’une manière générale, c’est encore beaucoup moins cher pour un industriel de fabriquer un produit jetable que conçu pour durer.
Toutefois on voit de plus en plus d’industriels s’orienter vers des produits plus vertueux. Quand ils le font c’est parce qu’ils constatent que les clients y sont sensibles et c’est donc pour répondre à une demande.
Le lien est souvent fait entre les modèles ouverts ou collaboratifs et la réduction de l’empreinte environnementale, quels sont vos constats sur ce point ? Comment les modèles ouverts ou collaboratifs contribuent-ils à diminuer l’empreinte des déchets ?
Il y a de nombreux liens. Par exemple, la démarche de conception en open source facilite la réparation. D’une part car comme ces conceptions sont modulaires, il est plus facile de réparer la pièce qui fait défaut mais aussi parce que les utilisateurs ont la possibilité juridiquement de fabriquer eux mêmes une pièce dont ils ont besoin. En outre, la documentation liée aux produits conçus en open source (qui fait partie intégrante de la démarche) facilite la réparation pour les experts comme pour les non-spécialistes. En augmentant les possibilités de réparation, les modèles ouverts favorisent la réduction des déchets à la source.
Egalement, une conception open source laisse la possibilité aux utilisateurs ou à d’autres producteurs de proposer des évolutions sur une partie de l’objet et donc favorise l’allongement de la durée d’utilisation du produit, par un ajout de complément qui ne nécessite pas le remplacement complet. Favoriser la modularité et l’évolution, c’est donc une façon de réduire la production de déchets.
Favoriser la modularité et l’évolution, c’est donc une façon de réduire la production de déchets.
Une partie du programme du Festival Zero Waste qui a lieu à la fin du mois est dédié à cette question. Avec notamment la question du modèle industriel de substitution nécessaire pour réaliser la bascule vers des objets à durée de vie plus longue.
Quels exemples pouvez-vous nous donner d’initiatives émergentes particulièrement intéressantes dans la prévention ou réduction à la source des déchets ?
Depuis plusieurs années, on a vu émerger de nombreuses initiatives à travers le monde. Le smartphone FairPhone est une de celles qui ont reçu le plus d’attention. Ce téléphone a la particularité d’être modulaire et réparable. L’utilisateur peut facilement ouvrir l’appareil et changer les pièces qui sont endommagées, et seulement celles-ci. Egalement, l’appareil est modulaire, c’est-à-dire qu’il pourra évoluer au fil des ans avec de nouvelles fonctionnalités et les utilisateurs n’auront pas besoin de racheter un nouvel appareil pour en profiter, ils auront juste à acheter le module complémentaire qu’ils souhaitent. Cette initiative, qui est aussi un succès commercial, démontre que d’autres modèles sont viables.
En Europe et en France en particulier, les exemples sont chaque jour plus nombreux, nous en présenterons plusieurs pendant le festival autour de 4 thèmes : gaspillage alimentaire, obsolescence programmée, déchets sauvages, biodéchets. Il y aura par exemple L’increvable, une machine à laver à durée de vie illimitée, l’application Toogoodtogo qui permet aux commerçants de mettre à disposition facilement leurs invendus alimentaires, ou Loom, une marque de vêtements pour hommes qui prend le contrepied de la mode jetable en proposant des vêtements résistants au style presque indémodable.
Les grandes entreprises ont parfois des positions ambigües ou contradictoires sur les évolutions qu’elles souhaitent apporter à leur modèle économique pour réduire les déchets ? Quels exemples avez-vous d’initiatives intéressantes de grands groupes ?
C’est vrai que certaines marques communiquent plus qu’elles ne font. Toutefois, elles sont de plus en plus nombreuses à prendre des initiatives tangibles qui vont dans le sens de la réduction des déchets à la source. Par exemple, le distributeur d’électroménager Boulanger a tout récemment ouvert une plateforme avec des plans en open source de pièces de certains produits. Les utilisateurs peuvent librement les fabriquer et ainsi ne plus changer l’appareil entier quand seule une pièce est endommagée.
Dans le même esprit, le fabricant Seb a conçu un label pour certains produits, “Seb répare”, qui garantit que le Seb réparera le produit sur une durée longue, et à un coût inférieur au remplacement de l’objet.