Christophe Bureau est un innovateur : chercheur au CEA, il a créé et amené à maturité une start-up dans le biomédical et il est à présent Directeur de l’innovation stratégique chez Becton-Dickinson. Il a connu plusieurs facettes de l’innovation : scientifique, entrepreneuriale et institutionnelle. Il nous a présenté son parcours et deux de ses principales aventures
AlchiMedics, une start-up issue du CEA
AlchiMedics est partie d’une technologie dans le domaine des polymères développée au CEA. L’application de départ développée par l’entreprise était un stent cardiologique en polymère biodégradable qui permettait de diffuser la drogue une fois le stent dégradé.
L’aventure a failli s’arrêter en 2005 quand une étude montre que les stent avec revêtements polymères générent une mortalité supérieure aux autres car ils favorisetn des hemorragies chez les patients.
Les activités de l’entreprises ont été séparées à ce moment entre les applications biomédicales de la technologie et les autres applications.
Pendant deux ans, les équipes ont cherché à améliorer le produit pour réduire l’incidence en mortalité et grâce à un partenariat en 2007 avec une institution chinoise, les développements reprennent, de nouvelles implantations sur des corps humains sont réalisés, les machines de production sont revues et les essais cliniques reconduits. Ils concluent que le stent en polymère est désormais plus efficace que celui de ses concurrents. Le produit a été finalement lancé en 2011 avec succès.
Quelles leçons de cette aventure entrepreneuriale ?
- Un long chemin pour identifier la valeur de l’innovation
La valeur n’a pas été identifiée au début, elle a été mise en évidence avec le développement d’une autre technologie (drug release). 7 ans ont été nécessaires pour decouvrir où résidait la valeur de la technologie.
- Les limites d’une approche bottom-up
AlchiMedics a été fondée en partant d’une technologie développée par une institution scientifique pour trouver ensuite des applications. Cette pratique d’essaimage montre ses limites : avec une compétence marché réduite, les institutions scientifiques poussent à la création de start-up sur des applications qu’elles maîtrisent mal.
Ce mode d’innovation bottom-up (partir de la technologie pour trouver des applications) se heurte souvent à un mur : la valeur associée à l’innovation technologique n’est pas toujours perçue, donc payée, par un des acteurs du marché.
Une façon de mieux capitaliser sur les découvertes technologiques pourrait être de mobiliser plus rapidement dans le cycle d’essaimage des compétences marketing ou de marché pour évaluer plus précisément les applications et surtout les marchés associés à ces applications dans une logique de chaîne de valeur sectorielle (par exemple incluant les patients et les établissements payeurs et pas uniquement les industriels dans la santé).
Où prendre son inspiration pour innover ?
- Aller voir le client
Première modalité la plus habituelle : aller voir le client, montrer son innovation et la modifier de façon itérative. Cette innovation incrémentale contribue à segmenter le marché (trouver de nouvelles niches) et donc à réduire la taille de marché à laquelle on destine l’innovation.
- Identifier des besoins pour trouver des solutions
C’est l’outcome driven innovation. Cette méthode permet de qualifier les besoins en deux axes : satisfaits ou non et importants en volume ou pas. Avec cette évaluation, une équipe peut concentrer son énergie à concevoir des solutions pour des besoins où le retour sur investissement est le plus probable : ceux qui ne sont pas encore satisfaits et qui sont importants en volume.
Cette méthode est moins incrémentale que la première et peut conduire à des innovations importantes mais elle reste dans le champ connu des règles du marché.
- La stratégie Océan Bleu
Cette méthode conçue par Kim & Mauborgne consiste à identifier les courbes de valeur présentes sur le marché et à développer des innovations sur de nouvelles courbes.
Pour parvenir à créer de nouvelles courbes de valeur, il faut sortir des standard de l’industrie, construire un marché parallèle où il n’y a pas de concurrence, voir l’exmple de la WII de Nintendo.
Appliquer la stratégie Océan Bleu au sein un leader de l’industrie médicale vieux de 150 ans
Becton-Dickinson a construit au fil des années une position forte sur la production de seringues remplies de vaccins. L’entreprise vit sur l’exploitation d’un modèle industriel bien connu et maîtrisé où les facteurs clés de succès résident plus dans l’excellence opérationnelle (qualité et coûts) que dans l’innovation.
C’est pourtant la mission qui a été confiée à Christophe Bureau : faire émerger et passer à l’échelle des innovations de rupture.
- s’occuper du patient et des payeurs plutôt que des industriels de la santé
Plutôt que de chercher à mieux satisfaire les clients industriels, les équipes d’innovation de Becton ont cherché à s’intéresser à des parties prenantes moins proches : les patients et les payeurs. Cette approche a donné lieu à deux innovations (qui n’ont pas été passé à l’échelle) : favoriser la vaccination par acupuncture en Chine (plutôt qu’avec des seringues traditionnelles) et construire un dirigeable pour stocker des vaccins à 2000 m d’altitude car c’est à cette altitude que la température permet une bonne conservation des produits.
Quelques extraits et citations pour conclure
« La question de l’innovation est pourquoi et pas comment »
« L’innovation incrémentale pousse à la compétition en terrain connu »
« il faut créer en entreprise des poches de subversion »
« pour innover, mieux vaut developper les gens là où ils sont bons plutôt que d’essayer de combler leurs lacunes ».
» au moment des choix difficiles à titre personnel, la question à se poser est : pourras-tu mieux vivre avec l’échec ou le remords. »