Louis-David Benyayer et Simon Chignard ont entamé une exploration de la valeur des données : où est la valeur, se mesure-t-elle uniquement en euros, ça change quoi pour les individus, les entreprises et la société ? Ils partagent ici les points de départ de leur réflexion. Ce texte est publié simultanément sur donnéesouvertes.info.
Cette exploration a donné lieu à un livre, Datanomics, les nouveaux business models des données (Fyp Editions, 2015).
Données partout, justice nulle part
Dans l’actualité récente de la donnée, Nelly Kroes a cotoyé Edward Snowden. L’un a révélé des pratiques de collecte et de surveillance à grande échelle et l’autre a une nouvelle fois mis en avant l’exploitation des données comme la réponse aux déficits de croissance de nos économies européennes… Les données sont en train de bouleverser les équilibres économiques, sociaux et politiques. Et ce n’est probablement que le début, si l’on considère l’essor de l’Internet des objets et des nano-technologies.
Big brother vs big data
Les discours autour de la donnée se concentrent autour de deux rationalités qui s’affrontent : l’une s’établit sur des raisonnements économiques et entrepreneuriaux et l’autre sur des raisonnements démocratiques. Pour certains les données sont une opportunité économique majeure tandis que pour d’autres elles sont un risque majeur pour la démocratie. Mais ce débat ne nous aide pas, l’opposition n’est pas productive car elle ne se situe pas sur le même plan.
Nous pensons les données de façon très (trop ?) fragmentée : Open data vs big data vs données personnelles. Cela fait sens car il faut distinguer les données produites par les individus de celles produites par les entreprises ou les Etats – nulle raison de leur appliquer la même réglementation. Mais cette fragmentation ne nous permet pas de saisir la question dans son ensemble car la réalité est que ces types de données sont interdépendantes (y a-t-il du big data sans données personnelles ?).
Nous pensons que mettre à jour ce qui fait la valeur des données, comment elle se partage nous permettra de sortir de cette pensée en silo, condition première pour mieux vivre et faire des affaires dans ce monde de données.
Que valent les données ?
Se poser la question, c’est d’abord interroger le paysage actuel des données. Leurs modes de production tout d’abord: aujourd’hui tout le monde produit de la donnée, parfois consciemment, parfois inconsciemment. Les humains, les machines, les objets connectés. Les entreprises – pas uniquement celles du numérique -, les Etats et même les communautés à l’instar d’Open Street Map.
Déluge de données nous dit-on, reprenant l’idée d’un flux que nul ne pourrait stopper ou ralentir, sauf intervention divine. Traces numériques, logs de connexion, métadonnées popularisées par la NSA et le juge Courroye, tweets et réponses à des formulaires … La donnée est aussi multiple dans les formes qu’elle peut prendre.
La donnée, de par sa nature-même, interpelle ce qui fait traditionnellement la valeur des biens et des choses. La donnée n’est pas le pétrole: difficile de faire avancer deux voitures avec le même litre d’essence, tout à fait possible d’alimenter mille applications avec le même jeu de données !
Ce n’est pas non plus un bien rare: il y a aujourd’hui, grâce aux données, de multiples manières de mesurer ou d’approcher le même phénomène, ce que nous appelons des « proxys ». Twitter, Flickr, Orange, les commerçants des Champs Elysés: tous ont des données qui permettent de mesurer et de qualifier la fréquentation de la célèbre avenue par les touristes étrangers. Certains enregistrent des tweets ou des photos avec des métadonnées de localisation, d’autres repèrent sur leur réseau mobile l’activité de clients en roaming, les derniers enregistrent des numéros de carte bancaire, …
Ce que nous souhaitons comprendre et proposer à voir, ce sont les mécanismes qui donnent aujourd’hui de la valeur aux données.
La donnée comme matière première, susceptible d’être enrichie et revendue parfois très cher (dans le domaine de l’information financière par exemple). La donnée comme levier, qui permet aux entreprises d’optimiser leurs produits, leurs stocks, … Mais aussi la donnée comme actif stratégique, qui appuie et renforce la domination des plateformes – mais pas uniquement d’elles.
Que font les données, à nos entreprises et à nos sociétés ?
La donnée n’est pas uniquement le carburant de l’économie numérique. Elle conforte et renforce les plateformes. C’est la donnée qui leur permet en permanence de s’adapter, d’expérimenter. C’est aussi la donnée qui les rend si difficiles à quitter. Cheval de Troie, la donnée est-elle l’instrument qui permet aux acteurs du numérique de manger progressivement l’ensemble des secteurs économiques, de la mobilité à la culture ?
Dans ce vaste mouvement de contagion par la donnée, l’hypothèse de réaction est-elle à rejeter ? Des individus ont commencé à utiliser massivement des outils leur permettant d’utiliser internet sans pour autant céder la monnaie d’échange implicite que constituent leurs données personnelles. Ils ne sont pas tous pédophiles ou trafiquants de drogue. Ils accordent une valeur importante à leurs données. Quel sera à l’avenir la pénétration de ces pratiques de résistance ?
Autant de questions que nous souhaitons explorer avec le projet Datanomics.
Et concrètement
Nous allons réaliser dans les prochaines semaines une série de rencontres et d’entretiens avec des acteurs en France et en Europe et partager notre veille sur twitter avec le mot-clic #datanomics. Vous pouvez bien sûr y contribuer.
Illustration : « Open Data Commons » (photo by jwyg)
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