Stéphane a fondé et préside faberNovel. Depuis 10 ans, avec ses équipes en France et à l’étranger, il conçoit et expérimente des innovations pour des start ups et des groupes. A l’initiative de La Cantine, le Camping et Sillicon Sentier, il a contribué à l’émergence et au renforcement de l’écosystème digital à Paris.
Il s’est prêté au jeu de nos trois question.
Qu’est-ce ce qui t’inspire ?
C’est l’impromptu qui m’inspire le plus.
La monomanie détendue aussi. C’est à dire, quand, trop rarement, on fait une chose et une seule sans avoir de compte à rendre. Courir, se doucher, être seul dans un train ou un avion…
En termes de « matière », ma meilleure inspiration vient de l’art et de la création industrielle (leur différence étant souvent la taille, en termes de série ou d’échelle) . Je ne sais pas lire les ouvrages « business » qui me tombent des mains au bout de 10 pages. Je n’aime que les romans.
Les romans du 19ième siècle, par exemple la comédie humaine de Balzac, parlent beaucoup d’entrepreneuriat. J’ai beaucoup de plaisir à les lire ou relire. Dans la littérature contemporaine, Michel Houellebecq est l’auteur que je préfère. Ses romans, au-delà de leur qualité littéraire qui me touche, ont un fond de capitalisme romanesque.
Le théâtre, la peinture, la sculpture, sont aussi des sources d’inspirations importantes pour moi. Quand on s’intéresse aux business models, les artistes sont une source d’inspiration, pas seulement le sens de leurs œuvres mais aussi la façon qu’ont eu certains de créer une économie autour de leur œuvre. Je ne parle pas ici du business de l’art, de la spéculation sur les œuvres. Christo par exemple a construit une œuvre artistique majeure et monumentale sans jamais vendre d’œuvre, sans faire d’exposition, sans être subventionné. Christo n’est pas si loin d’un modèle open source.
On cherche souvent à plaquer des raisonnements business sur l’art, on devrait aussi faire l’inverse, s’inspirer de ce que font les artistes dans l’entrepreneuriat.
Les parcours et les aventures des grands créateurs, qu’ils soient artistes ou entrepreneurs sont également très inspirants. J’ai parlé de Christo dans l’art, il y a de nombreux autres exemples. Dans l’entrepreneuriat, c’est le capitalisme underground qui m’inspire le plus, celui qui commence par une contestation, une rage de créer et de faire partager sa passion. C’est l’exemple de Richard Branson avec la grève des postes qui l’amène à s’installer dans un magasin qui vend des docMartins pour vendre les disques qu’il n’arrive pas à écouler à distance.
Je ne connais pas d’aventure entrepreneuriale qui ait duré ou de création artistique importante qui soit née de la seule volonté de faire de l’argent. Au début de ces aventures il y a toujours une volonté farouche de créer et de partager sa passion avec le plus grand nombre.
… Et j’avoue que j’aime aussi détester. Le luxe c’est de pouvoir lire ou voir des choses qu’on n’aime pas. Au théâtre, aujourd’hui, une fois sur deux, on finit par une « standing ovation » : les gens sont contents d’être venus.
L’expérience du rejet, du désaccord est sans doute ce qui différencie le plus l’expérience culturelle de l’acte de consommer…
Dans les polémiques récentes, celle autour du livre l’Age de la multitude de Colin et Verdier m’a particulièrement intéressée. Les attaques ad hominem ne sont pas glorieuses pour ceux qui les prononcent mais au-delà de cela, j’ai trouvé que des deux côtés, les arguments étaient de très grande qualité et j’ai trouvé l’opposition très riche. Ce type de débat est un peu nouveau dans notre écosystème. Un monde de création, qu’il soit artistique ou entrepreneurial n’est pas un monde mièvre, le débat et les oppositions doivent trouver leur place. La bienveillance c’est bien, la condescendance tue la création.
Quel rêve as-tu réalisé ?
Durer. Je me dis souvent que je n’aurais jamais imaginé « en arriver là ». Même si ce « là » ne me satisfait pas du tout aujourd’hui.
Je ne suis pas là pour parler de ma vie personnelle, qui reste ma principale source d’accomplissement.
En une dizaine d’années, j’ai dû créer plus de 300 emplois, directement, et donc plus indirectement. C’est une « unité de mesure » que j’aime. Avant de parler de rêve, de barrière, être utile est une saine ambition.
Je suis fier de faberNovel. Je n’aurais jamais cru en arriver là. C’est donc la part de rêve. Mais il doit continuer car je ne sais pas me satisfaire de ce « là » non plus… Nous sommes une société indépendante, je pense que nous avons une « âme« , nous sommes en passe de réussir un saut dans la « globalité » en réalisant un tiers de nos activités en dehors de France. Très européen, fier de nos racines, avec un nom latin, la langue utilisée en interne est aujourd’hui l’anglais.
Nous avons grandi sans grossir, en restant discret, avec de vraies réussites et surtout une construction qui va nous permettre de « durer » (j’y reviens, c’est une obsession 😉 ).
A Paris, (j’ai deux amours…), je pense avoir contribué à quelques projets qui ont repoussé les limites : Cantine, Camping, Futur en Seine, …
Quel est ton prochain rêve ?
J’aimerais qu’on retrouve le goût du risque et du panache. Les échanges que j’ai la chance d’avoir avec les artistes et les entrepreneurs sont des illustrations de ce risque, de cette radicalité.
Ce matin au petit déjeuner, j’ai pris une leçon de radicalité avec une jeune femme qui se lance.
Récemment j’ai eu la chance de participer à un projet artistique, le film « Would you have sex with an arab ». Le film a provoqué des réactions radicales, les spectateurs se sont attaqués physiquement aux créateurs lors des projections. Ce sont des signaux d’engagement et de prise de risque qu’on trouve dans l’art et dans l’entrepreneuriat.
J’aimerais qu’on reprenne confiance dans ce monde qu’on prépare pour les plus jeunes : l’éducation est le sujet le plus important de tous, le sens de la création et les conditions de l’innovation viennent ensuite.
Mais à une échelle « à ma portée », je vais me concentrer pour prouver qu’un nouveau modèle d’entreprise est possible au coeur de cette nouvelle révolution industrielle. Au moins autant un mouvement qu’une société. Mon défi réside dans la description de ce modèle, la définition de notre recette.
J’aimerais aussi m’impliquer dans la compétitivité de nos écosystèmes (j’ai quelques idées), en particulier leur rayonnement sur la scène internationale et je veux qu’on abandonne la notion de PME : qui rêve de rester petit ou moyen ?
Contenu très riche, très beau voyage dans la culture générale au service des entrepreneurs. Bravo pour la création d’emploi. Chapeau. J’aime en particulier le passage sur le luxe défini comme le pouvoir de voir ou lire des choses qu’on aime pas. Ca change des parfums, bijoux, voitures, yachts et autres objets de consommation. J’ai déjà du mal à voir et lire ce que j’aime… 😉
J’aime aussi le passage sur l’ambition saine d’être utile, et de créer des emplois.
Bravo, belle vision, belle inspiration.
Yves Zieba