« Les modèles ouverts sont frugaux car ils sont plus économes en ressources »

Navi Radjou est spécialisé dans l’innovation et le leadership, il a co-signé deux best-sellers : L’Innovation Jugaad : Redevenons ingénieux ! (Diateino, 2013) et From Smart to Wise (Jossey-Bass, 2013). Aujourd’hui, nous échangeons autour de son nouveau livre paru le 25 mars 2015 : « L’Innovation Frugale : Comment Faire Mieux Avec Moins » (publié par Diateino avec une préface de Paul Polman, PDG d’Unilever et une introduction de Vianney Mulliez, PDG d’Auchan).

Depuis plusieurs années vous parcourez le monde pour présenter l’innovation frugale à des dirigeants de grandes entreprises, quelle est leur perception de cette démarche qui est très différente de celles qu’ils ont l’habitude de d’employer ?

Cela fait une dizaine d’années que je fréquente les directions générales de grandes entreprises. Depuis 5 ans je leur présente l’innovation Jugaad et j’en aide certaines à s’en inspirer. J’ai été très surpris et fasciné par l’accueil que j’ai reçu qui a été très positif, surtout en France, le courant est passé tout de suite. Cela tient à mon avis au fait que je ne leur proposais pas de méthode mais que je cherchais à leur transmettre un état d’esprit optimiste, à communiquer un message humaniste : appuyez-vous sur le talent humain. Ce discours a touché leur coeur et c’est certainement pour cette raison que les discussions ont été si fructueuses.

Très rapidement, ils ont été nombreux dans les entreprises occidentales (Etats-Unis, Europe) à me demander comment ils pouvaient dans leur organisation s’inspirer de ces principes et se les approprier. C’est pour répondre à cette attente que j’ai écrit ce nouveau livre. L’innovation Jugaad décrivait des exemples d’innovation low-tech menées par des individus dans les pays émergents, L’innovation frugale décrit un processus structuré, une stratégie systémique pour transformer les grandes entreprises occidentales en organisations agiles capables d’innover plus vite et à moindre cout. C’est une sorte de mode d’emploi que moi et mon coauteur avons construit en réalisant 50 études de cas de 50 entreprises en Europe, Etats-Unis, et Japon dont la moyenne d’âge est de 65 ans.

Comment une grande entreprises peut-elle adopter ces principes ?

Il est clair que s’engager dans une telle démarche de « faire mieux avec moins » requiert un leadership très fort car elle va à l’encontre de principes et pratiques de «faire plus avec plus » qui sont très bien ancrés dans les grandes entreprises, notamment celles qui ont bâti leur succès sur l’ingénierie, c’est une transformation majeure.

L’engagement du dirigeant est déterminant pour deux raisons. La première est qu’il s’agit d’une opportunité de développement qui nécessite des investissements et qui peut se traduire par des contre performances à court terme. La seconde est que les principes de l’innovation frugale peuvent être perçus comme des menaces par certains au sein de l’organisation – introduire un nouveau produit low-cost risque de cannibaliser les produits haut-de-gamme de l’entreprise. Neanmoins, le retour sur investissement est très élevé, comme le démontrent les exemples que je mentionne dans le livre (Accor, Tarkett, Unilever, GE, Renault, Air Liquide), mais c’est une véritable bataille qu’il faut mener au sein de ces grandes entreprises et sans l’engagement du dirigeant, cette bataille est impossible à gagner.

Vous parlez de transformation, ces principes sont-ils donc incompatibles avec ceux qui sont utilisés aujourd’hui ?

Je dirais que les deux approches sont complémentaires et que la dose de l’une et de l’autre dépend de l’urgence et du contexte. Renault et Unilever illustrent deux approches très différentes. Renault a lancé une gamme frugale (Dacia) qui représente aujourd’hui une part considérable de ses revenus tout en gardant une gamme premium. Unilever a par contre développé une approche plus systématique en appliquant la démarche frugale à l’ensemble de ses produits et en intégrant la durabilité au cœur de son modèle économique.

Dans les deux cas, c’est grâce au leadership des deux dirigeants que les résultats ont pu être obtenus, ce qui fait la différence c’est peut-être le niveau d’urgence qui a été ressenti plus fortement dans le cas d’Unilever et qui peut expliquer cette approche systématique avec un accent mis sur le développement durable.

Without model s’intéresse aux modèles ouverts et collaboratifs, quels liens peut-on établir entre ces modèles et les principes de l’innovation frugale ?

Les modèles ouverts et collaboratifs sont en train de révolutionner les rapports sociaux comme économiques. Ils sont frugaux car ils ont plus économes en ressources. Je vois trois territoires qui sont appelés à se développer et qui vont accélérer l’impact de cette révolution. Le premier c’est le BtoB sharing, le partage entre entreprises de leurs actifs. Il y a déjà quelques exemples, Mars partage ses camions avec ses concurrents en Allemagne. Au Danemark, les entreprises dans le parc éco-industriel de Kalundborg échangent leurs déchets de production et partagent l’énergie, ainsi collectivement réduisant leur consommation d’eau et émissions de carbone. L’ouverture a déjà gagné la conception avec les pratiques d’innovation ouverte et de co-conception avec les utilisateurs, elle va maintenant s’appliquer à l’ensemble de la chaîne de valeur avec un objectif commun entre partenaires de faire « mieux avec moins ».

 Avant de mettre des robots partout, partageons les usines.

La deuxième territoire est celui du client partagé. De plus en plus, les consommateurs bâtissent des écosystèmes de service autour d’eux, on parle de ME-cosystem. Cela va conduire les entreprises à partager leurs informations sur leur clients pour garder leur engagement. Là aussi les signaux existent, c’est par exemple Carrefour, Seb, Pernod Ricard, La Poste, Legrand, Kingfisher, et Orange qui développent des approches communes envers leurs clients respectifs dans le cadre de leur engagement collaboratif avec le cabinet d’innovation InProcess qui éclaire ces marques sur les enjeux de l’habitat de demain.

Enfin, le dernier territoire est celui de l’ouverture vers l’impact social. La frontière entre l’entrepreneuriat social et l’économie qu’on appelle traditionnelle est en train de s’estomper. Les entreprises ont compris qu’elles ne pouvaient plus évacuer leur contribution sociale et elles sont de plus en plus nombreuses à s’ouvrir à l’impact social en concevant des produits plus économes en ressources, en s’impliquant positivement dans leurs écosystèmes et en permettant à leur salariés de s’engager dans des démarches à fort impact social. Comme le constate Paul Polman, PDG d’Unilever, « Notre raison d’être est d’avoir un modèle économique durable mis au service du bien commun. » D’ailleurs, Unilever se considère aujourd’hui comme la plus grande ONG du monde en raison de ses multiples engagements sociaux à travers le monde.

Alors que dans les premières démarches d’ouverture 1+1 = 3 demain, avec ces nouvelles formes d’ouverture 1+1 = 11.

Cette plus grande ouverture, que j’appelle « l’hyper-collaboration » » dans mon livre, est particulièrement stimulante et enthousiasmante, les entreprises comprennent chaque jour un peu plus qu’elle ont plus à gagner en s’ouvrant et en partageant actifs, ressources, et idées. L’ouverture c’est un état d’esprit et plus on s’ouvre, plus on expose ses faiblesses. S’ouvrir c’est aussi oser montrer sa vulnérabilité.

Découvrir le Ted Talk de Navi.

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Louis-David Benyayer

À propos de Louis-David Benyayer

Entrepreneur / consultant / chercheur / enseignant, Louis-David Benyayer est passionné par l'innovation, la stratégie, les modèles économiques et l'entrepreneuriat.

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À propos de Navi Radjou

Navi Radjou est spécialisé dans l’innovation et le leadership, il a co-signé deux best-sellers: L'Innovation Jugaad: Redevenons ingénieux! (Diateino, 2013) et From Smart to Wise (Jossey-Bass, 2013).Son dernier livre paru le 25 mars 2015 : « L’Innovation Frugale: Comment Faire Mieux Avec Moins »

Sophie Goursolas

À propos de Sophie Goursolas

Sophie Goursolas, professionnelle de l’assurance, a exercé diverses fonctions : de l’activité commerciale aux études techniques, en passant par la souscription-acceptation de risques spéciaux. Depuis 2013, son parcours l’a amenée à travailler au sein d'une direction Marketing et Distribution d’un grand groupe d’assurance. C’est à cette occasion qu’elle a été amenée à s’intéresser à l’éco système de l’innovation et aux nouveaux model(s) qui se développent autour de la culture digitale.

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