Plaidoyer pour l’expérimentation

J’ai eu l’occasion de participer à un TedX en mars dernier à Lille et j’ai choisi de faire un plaidoyer pour l’expérimentation, voilà ce que j’ai dit :

Quand on ne sait pas, il n’y à qu’une chose à faire, essayer

Au début des années 2000, Ray Bradbury participe à un colloque d’écrivain et une question lui est posée : “vous qui avez écrit de si nombreux livres et dont certains sont des chefs d’oeuvres, quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui souhaiterait écrire ?” Bradbury prit un air supris et répondit “et bien, je lui conseillerais de le faire, je lui conseillerais d’écrire. Je lui conseillerais d’écrire 52 histoires courtes, une par semaine pendant un an. A la fin de ces 12 mois, la probabilité que les 52 histoires soient toutes mauvaises est nulle, il y en aura au moins une de bonne. Et surtout en ayant écrit ces 52 histoires, il aura appris son métier d’écrivain.”

Cette histoire je ne la tiens pas de Ray Bradbury ou de quelqu’un qui était dans la salle ce jour-là, je la tiens de Julien Simon, qui écrit avec le pseudonyme Neil Jomunsi, c’est un jeune écrivain qui a choisi d’appliquer le conseil de Bradbury, il est en train d’écrire 52 histoires, une par semaine pendant un an.

Quand je lui ai demandé pourquoi il avait choisi de suivre ce conseil, il m’a répondu que pour lui c’était très clair, quand on ne sait pas, il faut expérimenter, pas trop réfléchir, faire et expérimenter. En l’écoutant, et surtout en l’entendant prononcer ce mot, expérimenter, d’autres conversations me sont revenues en mémoire. Des conversations que j’ai eu avec des entrepreneurs qui me disaient en substance : c’est le chaos, le monde change, on ne sait pas quoi faire et pour savoir, il ne faut pas trop réfléchir, il faut faire, expérimenter.

C’est le chaos, on comprend plus rien.

Quand on lit la presse, on ne sait même plus si le monde va mieux ou moins bien. Des centaines de millions de personnes sont sorties de la pauvreté en Inde et en Chine, bonne nouvelle, le monde va mieux, les inégalités se réduisent. Oui, mais en janvier, Oxfam publie une étude selon laquelle les 85 personnes les plus riches du monde ont une richesse cumulée supérieure aux 3 mds les plus pauvres.

On vit une époque passionnante parce qu’elle est pleine de défi. La population mondiale a doublé au cours des 60 dernières années et va continuer à grossir à un rythme sans précédent. Cela pose des défis colossaux sur la création et la répartition de richesse, sur l’éducation, la santé, la nutrition. Les ressources naturelles sont devenues rares et nous imposent de changer nos façons de produire et de consommer. Les individus n’ont jamais été aussi libres et instruits et ils s’organisent librement. Les structures de pouvoir traditionnelles verticales et centralisées vacillent sous cette émancipation. Les modèles qui ont dominé le 20ieme siecle  sont remis en cause (lehman brothers, PSA, france soir, carrefour, …) par des gens qu’on qualifie de barbares car ils jouent avec des règles différentes. Certaines entreprises sont plus puissantes que certains états.

De nouveaux modèles émergent, ouverts, collaboratifs et responsables

Dans ce mouvement, des individus et des communautés sont en train de développer de nouveaux modèle économiques qui incarnent un début de réponse. Ces modèles sont ouverts, collaboratifs ou responsables. Ils ont émergé plus qu’ils ont été déterminés, ils se développent par l’expérimentation plus que par la planification.

Je vais vous en présenter quelques uns que j’ai eu l’occasion de cotoyer parce qu’ils incarnent une double espérance. l’espérance de nouveaux modèles, et l’espérance de nouveaux mécanismes. Une espérance sur le fond, une sur la forme, une sur le contenu, l’autre sur le contenant.

Wikispeed illustre parfaitement cette logique d’expérimentation. Joe justice a développé en quelques mois une voiture qui est plus efficace en consommation d’énergie que les standard du marché. Il l’a fait avec des volontaires bénévoles. Cette voiture a ensuité été homologuée. Comment y est-il parvenu ? Par expérimentations successives, en adopant les méthodes de conceptions issues du logiciel, des méthodes agiles, modulaires à boucle courte. Quand il faut plusieurs années à un constructeur automobile pour revoir sa conception, il faut 7 jours à l’équipe de Wikispeed. Vous imaginez combien de version différentes ils ont pu produire de leur voiture

Tabby est une autre forme de modèle ouvert. C’est une voiture en open source livrée en kit  commercialisée depuis le printemps 2014 par OSVehicle. Francisco Liu et Ampelio Macchi consacrent leur énergie depuis 7 ans à la création de la première voiture en kit du marché. Ou, plutôt, une « plateforme motorisée », car leur machine est simple et adaptable, une voiture customisable, procédant du concept des logiciels libres. C’est dans des boîtes en carton, que la Tabby sera acheminée chez les clients. Il leur faudra monter le moteur, les suspensions, la direction, les freins, les sièges… Charge à eux aussi d’y installer une carrosserie, puis d’améliorer sa Tabby, selon qu’elle soit destinée à un usage personnel, ou à la revente. Elle peut être assemblée (chez soi) en « 41 minutes », avec des outils ordinaires.

Open Street Map est une initiative collaborative de cartographie numérique qui ressemble à Google Maps. Mais le point commun s’arrête à ces deux mots : cartes et numériques. Car Open Street Map est alimenté par des contributeurs (comme wikipedia) volontaires et non rémunérés. L’autre différence est que Open Street Map est plus efficace que d’autres opérateurs privés car les cartes sont remplis par des passionnés qui ne font pas de calcul de rentabilité entre l’effort à fournir pour établir la carte et la rentabilité de cet effort, (par exemple le nombre de personnes qui vont la consulter). Par exemple, Open Street Map est particulièrement précis sur la localisation de certaines espèces d’oiseau qui sont répertoriées par des passionnés sur les cartes.

Fairphone est le premier téléphone portable « équitable » du marché. Il a été vendu à 25 000 exemplaires et respecte un cahier des charges rigoureux et offre une transparence maximale quant à sa fabrication. La start-up hollandaise mise sur une chaîne d’approvisionnement rétribuant au prix juste ses fournisseurs, qui doivent opérer en dehors des zones de conflits.

L’initiative est aussi un moyen détourné de faire pression sur les « majors » du secteur, pour pousser vers le haut leurs propres exigences techniques et humaines. le Fairphone, réparable à l’envi, largement recyclable et doté de deux emplacements pour cartes Sim, est construit pour durer.

Les exemples sont nombreux et certains sont plus proches de nous : Etienne Hayem expérimente avec Symba de nouvelles formes de monnaies, locales et complémentaires, Armel Le Coz expérimente avec Démocratie et citoyens une nouvelle forme de démocratie plus ouverte, Thomas Landrain a initié des lieux ouverts de Bio hacking avec La Paillasse.

Qu’ont en commun ces nouveaux modèles et les individus qui les incarnent ?

Ces exemples nous disent que désormais ils ne sont plus marginaux, qu’ils commencent à s’établir. Ils nous disent aussi qu’ils sont encore fragiles. Ils ont une chose en commun, la seule qui leur a permis d’émerger : ils ont expérimenté.

Expérimenter c’est revendiquer qu’on va échouer. Souvent sans le décider, ils ont suivi le précepte de Bradbury : mener 52 réalisations sans savoir combien vont réussir. Expérimenter, c’est formuler puis tester 10 hypothèses dont certaines sont contradictoires pour arriver progressivement à trouver la solution. Expérimenter c’est se tromper, c’est échouer et c’est le revendiquer. Expérimenter, c’est assumer une part d’échec importante. Quand on expérimente on cherche à apprendre, pas à réussir.

C’est ce qui explique que ce ne sont ni Ikéa, ni Renault  qui ont conçu Tabby. Pour lancer Tabby, il faut accepter de se tromper pendant plusieurs années avant de trouver un modèle qui fonctionne. Or les organisations établies ont beaucoup de mal à allouer des ressources qui ne vont pas produire un résultat immédiat. En plus, quand elles se décident à investir, elles investissent trop, c’est donc encore plus difficile pour elles d’accepter que les tests ne confirment pas les hypothèses. Elles attendent une validation là où il faut chercher un apprentissage. Car une caractéristique importante de l’expérimentation est déterminante : elle est relativement peu couteuse. Une bonne expérimentation c’est celle qui a le meilleur rapport apprentissage / coût.

Pourquoi il est urgent de développer nos capacités d’expérimentation

La première raison est que quoique nous fassions, les expérimentations ont lieu et elles dessinent progressivement le monde qui vient. Ensuite, et c’est là une raison plus pragmatique, l’expérimentation est une façon de trouver de nouvelles solutions, de nouveaux produits, de nouveaux marchés. Egalement, si on adopte une perspective défensive, nombreux sont ceux de par le monde qui sont en train d’expérimenter, ils sont en train de définir le monde qui vient. Allons-nous le subir ou essayer d’en construire un qui nous convienne mieux ?

La question n’est donc pas de savoir s’il faut expérimenter ou pas, nous sommes déjà bien souvent sollicités de façon plus ou moins explicite dans des expérimentations. On est tous des contributeurs volontaires ou involontaires, actifs ou passifs à des expérimentations. La question à se poser c’est plutôt dans quelles expérimentations nous souhaitons nous engager, à quelles expérimentations souhaitons nous contribuer.

Que pouvons-nous faire ?

Il y a de nombreuses choses que vous pouvez faire pour participer à ce mouvement d’expérimentation. La première, qui ne demande pas beaucoup d’effort, c’est de lire ou d’être exposé à ces expérimentations. on peut tous accorder de l’attention à ces individus qui sont en train d’expérimenter.  La deuxième, c’est de les rencontrer, d’aller leur parler, de les écouter, de leur poser des questions. La troisième, c’est de contribuer à ces expérimentations, d’y apporter votre énergie, votre réseau, vos connaissance ou votre argent.

Certains parmi vous dirigent des hommes et de femmes. Et bien quand quelqu’un se présente à vous et vous propose d’expérimenter quelque chose, dites-leur “même pas cap”, autorisez et encouragez les expérimentations.

Et puis peut-être qu’un jour vous aurez aussi envie d’expérimenter quelque chose, peut-être que vous réussirez et que vous trouverez quelque chose d’utile ou d’intéressant. Mais rappelez vous a probabilité est largement plus forte que vous échouiez.

Quand vous expérimenterez vous échouerez et donc vous aurez réussi. Vous aurez réussi car vous aurez appris, vous aurez exprimé votre liberté, rencontré des gens passionnants. Vous aurez réussi parceque vous aurez exploré avec eux des territoires inconnus, bref, vous aurez exprimé votre condition humaine et vous aurez pris un plaisir incroyable à découvrir et à construire ces nouvelles choses.

Alors on fait quoi demain, qu’est-ce qu’on expérimente ?

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Louis-David Benyayer

À propos de Louis-David Benyayer

Entrepreneur / consultant / chercheur / enseignant, Louis-David Benyayer est passionné par l'innovation, la stratégie, les modèles économiques et l'entrepreneuriat.

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