Vincent Fauvet est président exécutif d’Investir&+, un fonds d’impact investing qui finance et accompagne des projets à impact social depuis 2011. Il nous explique comment sont choisis les projets financés et partage sa vision des évolutions de modèle économique et des leviers du passage à l’échelle.
Cet article est publié dans le cadre de la recherche social impact business model.
Investir&+ finance et accompagne des projets à impacts depuis 2011, comment est née cette initiative ?
C’est lié à mon histoire personnelle. Après mes études, j’ai commencé dans l’humanitaire en Asie pendant deux ans puis j’ai travaillé pendant 7 ans dans la banque d’investissement avant de diriger une entreprise dans la distribution. En parallèle de mes activités professionnelles, j’ai toujours été engagé dans des associations et je trouvais mon équilibre ainsi. En poste au Brésil pour BNP Paribas, j’ai créé en 2004 avec mon associé Jérôme Schatzman Tudo Bom, une entreprise à impact social qui a été finalement rachetée par l’Occitane en 2011. A ce moment, j’ai décidé de réconcilier mon engagement professionnel et mon engagement dans l’intérêt général car j’étais convaincu de l’utilité de l’entreprise pour contribuer à l’intérêt général. C’est comme cela qu’est né Investir&+. Un constat est à l’origine de notre mission : les entrepreneurs sociaux pour se développer ont besoin de financement et d’accompagnement par des pairs entrepreneurs. C’est notre mission aujourd’hui.
La notion d’impact social peut être très large, quelle réalité mettez-vous derrière ce terme ?
Notre approche pour sélectionner les projets que nous accompagnons est simple : ce sont des projets qui avant tout cherchent à apporter une réponse à une problématique sociale non résolue et qui souhaitent créer une entreprise pour la résoudre. Il s’agit par exemple de faciliter l’accès à la santé à ceux qui en sont privés, de trouver des solutions de mobilité pour les personnes en situation de handicap, de faciliter l’insertion professionnelle de celles et ceux qui sont exclus du marché de l’emploi.
Ce qui définit l’impact social c’est la réponse à une problématique sociale non résolue.
Vous êtes une structure d’investissement qui collecte des fonds pour les apporter à des entrepreneurs sociaux, qui sont vos financeurs et pourquoi investissent-ils chez vous alors que les retours sont plus faibles que dans d’autres structures d’investissement ?
Nos investisseurs sont des individus, nous n’avons pas recours à des financements institutionnels. A 97% nos fonds proviennent d’entrepreneurs qui nous confient une partie de l’argent qu’ils ont gagné avec leur entreprise. Certains d’entre eux ont des engagements philanthropiques et ils souhaitent en complément contribuer à construire des entreprises à impact social. Nous leur proposons un modèle à la frontière entre la philanthropie et l’investissement. Notre rendement est inférieur à d’autres types d’investissements mais en nous confiant leur argent, nos investisseurs lui donnent plusieurs vies. Lorsque nous investissons dans des entreprises à impact social, cet argent permet à l’entreprise de se donner les moyens de l’autonomie et de la pérennité de ses actions. Une fois cette étape franchie nous pouvons allouer ces ressources à d’autres projets.
Egalement, ces entrepreneurs ont à cœur, au-delà de leur contribution financière, d’accompagner des entrepreneurs sociaux. Notre mode d’action peut se résumer ainsi : des entrepreneurs pour faire réussir des entrepreneur sociaux. C’est pourquoi nos investisseurs sont aussi des accompagnateurs. Chaque entrepreneur social de notre portefeuille bénéficie d’un accompagnement de proximité par un de nos investisseurs. C’est pour nous un élément clé. Les fonds ne suffisent pas pour relever les défis des entreprises à impact social. Le soutien et l’accompagnement par un entrepreneur expérimenté sont tout aussi importants. D’ailleurs certains projets sont venus nous voir uniquement pour cette dimension, ils n’avaient pas forcément besoin de ressources financières mais souhaitaient bénéficier d’un réseau de pairs pour développer leur compétence entrepreneuriale.
Notre conviction est que l’apport non financier est autant important que l’apport financier. On sait les difficultés et les taux d’échecs de l’entrepreneuriat en général : créer et développer une activité est très difficile. Les entrepreneurs sociaux sont confrontés aux même difficultés que n’importe quel entrepreneur avec un enjeu supplémentaire qui rend d’autant plus nécessaire l’accompagnement par des entrepreneurs expérimentés : la réalisation d’un impact social. Mettre de l’argent dans des structures sans leur fournir de l’accompagnement c’est envoyer les entrepreneurs dans le mur.
Depuis 2011, vous avez dû voir passer un nombre important de projets à impact social, quelles tendances avez vous observées en termes de business model ?
Effectivement les choses ont changé et il y a trois évolutions que nous avons constatées. Tout d’abord, il y a une évolution dans le profil des entrepreneurs à impact social. La première vague a été constituée de nouveaux projets qui étaient développés par de jeunes entrepreneurs. Ensuite, d’autres acteurs sont apparus. Les entreprises classiques, c’est-à-dire celles qui ne s’établissent pas pour résoudre une problématique sociale, ont commencé à lancer des initiatives à impact social. Ces initiatives s’incarnent parfois par de l’intrapreneuriat ou par la création d’entités en partenariat avec des acteurs sociaux, c’est les cas des joint-ventures sociales. Egalement, nous voyons de plus en plus d’associations qui cherchent à renforcer leur modèle et l’hybridation par une structure ou des activités commerciales constitue une réponse. Nous travaillons avec ces trois types d’acteurs : des entrepreneurs, des entreprises établies et des associations.
La deuxième évolution que nous avons constatée concerne les modèles économiques directement. Les technologies numériques et les modèles collaboratifs permettent d’envisager de nouvelles solutions pour résoudre des problématiques sociales, c’est très positif. La question centrale pour les modèles collaboratifs concerne la répartition de la valeur avec les contributeurs. De nombreux exemples nous ont appris qu’un modèle collaboratif n’a pas automatiquement un impact social positif.
Enfin, la troisième tendance concerne le type de projets. Nous voyons énormément de projets qui ont pour vocation à faciliter le travail et les actions des entrepreneurs sociaux : des plateformes de financement, de mise en relation entre bénévoles et associations, … Ces projets sont utiles. Il faut toutefois être vigilant à l’équilibre avec les projets qui ont un impact social direct. Parfois on a le sentiment que beaucoup veulent servir l’intérêt général sans mettre les mains directement dedans. Les projets d’impact indirects sont utiles mais ne doivent pas prendre le pas sur les projets d’impact direct. En étant caricatural, les plateformes de financement ne sont utiles que si les projets d’impact direct sont nombreux et de qualité.
Vous avez parlé de l’hybridation des modèles et des organisations qui ont composent avec une structure associative et une structure commerciale, quelles sont les spécificités de ces attelages ?
Le défi de l’hybridation est de préserver la pureté du modèle social, que les activités commerciales soient bien au service de l’impact et qu’elles ne détournent pas les efforts et les ressources du but d’impact. Egalement, les règles de gestion des excédents générés par les activités commerciales doivent être claires et explicites. J’utilise l’analogie de la marguerite. L’association est le cœur de la marguerite et les pétales autour sont constitués des organisations commerciales qui viennent alimenter le cœur. Simplon ou Makesense sont des illustrations de cette logique d’hybridation.
Vous poursuivez avec vos participations un objectif de développement de l’impact, quel est votre retour d’expérience sur les leviers qui favorisent le passage à l’échelle ?
Le premier levier concerne les individus et précisément le fondateur ou l’équipe fondatrice. Quand un fondateur a une ambition de développement forte, le passage à l’échelle a plus de chance d’advenir. Egalement, la capacité du fondateur à entraîner des gens derrière lui, à être inspirant, est un levier auquel nous sommes attentifs. Celles et ceux qui envisagent leur rôle également sous cet angle ont plus de chance de faire passer leur projet à l’échelle. Notamment car ils auront ainsi plus de chance de s’entourer de personnes de qualité pour réaliser ce développement. On voit souvent des projets pénalisés dans leur développement car le fondateur n’a pas trouvé les moyens de constituer une équipe qui porte le projet autant que lui.
Enfin, il y a une question de momentum et de traction. La capacité à déclencher ou à profiter de vagues d’attention sur son projet est déterminante : participer à des évolutions législatives, agir pour la création de dispositifs ou d’institutions en sont quelques exemples.
Pour conclure, nos défis ont changé. Pendant longtemps le financement était limité et constituait un problème. Aujourd’hui les sources de financement sont plus nombreuses et notre principal enjeu est de trouver des bons projets portés par des équipes de qualité. Ces projets sont encore trop peu nombreux par rapport aux opportunités de financement.