Valérie Chanal est Directrice du pôle Grenoble Institut de l’Innovation (IAE de Grenoble, Université de Grenoble 2) et coordinatrice scientifique du programme Promising qui propose une nouvelle pédagogie de l’innovation.
Vous êtes responsable de Promising, un programme original de pédagogie de l’innovation, comment enseignez-vous l’innovation à vos étudiants ?
Dans beaucoup de cursus, on délivre un enseignement similaire à celui d’une école de commerce en ajoutant le terme « Innovation », les étudiants reçoivent des cours de Marketing de l’innovation, de Financement de l’innovation, de Gestion des ressources humaines dans l’innovation. Cette façon d’enseigner l’innovation pose problème car les étudiants ne font pas les liens eux-mêmes entre les différents aspects de la conduite d’un projet. Par ailleurs elle ne leur permet pas d’expérimenter vraiment ce qu’est une logique d’exploration ou les phénomènes de sérendipité. Je le dis d’autant plus facilement que j’ai été auparavant responsable de certains de ces programmes d’enseignements traditionnels de l’innovation.
Quand nous avons conçu le programme de Promising, nous avons souhaité refondre la pédagogie en nous inspirant d’autres cursus comme l’ENSCI où les savoirs sont appliqués dans des contextes de projet.
Nous avons deux convictions : l’importance des sciences humaines et la pluridisciplinarité.
Les sciences humaines ont toute leur place dans l’enseignement de l’innovation. Le paradoxe est qu’alors que les sciences humaines traitent de l’innovation, elles sont bien souvent absentes de leur enseignement ou alors figurent en arrière-plan.
L’innovation est par nature une question pluridisciplinaire et les universités sont organisées en disciplines, ce qui ne favorise pas la mise en place d’enseignements véritablement transversaux.
L’université se construit sur le savoir académique et s’organise par disciplines, ces deux caractéristiques semblent difficilement conciliables avec une pédagogie sur l’innovation, comment parvenez-vous à dépasser ces modèles ?
Effectivement, une certaine vision de l’enseignement à l’université tend à opposer le socle académique et la professionnalisation. C’est bien sûr ce que nous ne souhaitons pas faire, nous tentons de mieux faire interagir les dimensions conceptuelles et appliquées en montrant aux étudiants que l’équipement théorique et conceptuel est utile pour résoudre des problèmes concrets.
Au fond, nous souhaitons que les étudiants découvrent les théories par l’action.
Nous faisons travailler les étudiants sur des projets et nous jalonnons au fil de leur travail sur les projets des savoirs théoriques qui leur sont utiles.
Notre ambition est de former des individus capables d’appréhender des situations complexes qui comprennent les dimensions socio-économiques et politiques de l’innovation et les logiques d’écosystèmes.
Bien sûr, avec un enseignement délibérément orienté vers des projets, on peut nous reprocher une approche trop utilitariste de la formation. Quand on ajoute à cela la difficulté à mobiliser des collègues, déjà fort occupés par ailleurs, sur des investissements pédagogiques, les choses ne sont pas toujours faciles. Notre stratégie est celle des petits pas, on réalise des choses, on en parle et on essaie de susciter de l’intérêt et de l’envie.
Vous mentionnez la dimension politique de l’innovation, quelle place pour les modèles ouverts, collaboratifs et responsables dans l’innovation ?
Il est délicat d’annoncer a priori que telle forme d’innovation nous intéresse plus qu’une autre parce qu’elle serait plus « responsable ». Nous proposons un cursus généraliste qui a pour vocation de former aux différentes formes de l’innovation, qu’elles soient liées à la valorisation de technologie, ou à la conduite de projets d’innovation sociale.
En revanche, nous assumons une responsabilité qui est de former les étudiants pour qu’ils s’interrogent sur la finalité de l’innovation.
Pour y parvenir, nous les faisons travailler sur la notion de valeur par exemple. La valeur n’est pas uniquement économique, on les amène à aller au-delà et d’aborder les questions de valeur sociale, et en tout cas, les valeurs pour les différentes parties prenantes, ce qui permet d’introduire la dimension politique. Les cas sur lesquels nous les faisons travailler et les intervenants que nous mobilisons sont une autre façon d’incarner cette intention.
Nous souhaitons développer chez nos étudiants une réflexivité sur l’innovation. On voit d’ailleurs que cela correspond à des attentes des employeurs, notamment dans les grands groupes qui sont en attente d’individus capables d’appréhender l’ambiguïté et la complexité de notre environnement. Les sciences humaines sont à ce titre de formidables outils.
Photo : Marc Wathieu
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