Joe Justice a commencé seul dans son garage. Point de départ de bien des success stories américaines. Mais pour cet ancien consultant en management de 34 ans, le lieu fait sens : son projet phare vise à construire et distribuer une voiture à haute efficience énergétique, performante et open source : WikiSpeed.
Il y a à peine quatre ans, Joe s’est mis en tête de participer au « Progressive Insurance X Prize », un offrant une récompense de 10 millions de dollars à l’équipe qui saura mettre au point une voiture atteignant les 100 miles par gallon d’essence (soit une consommation de 2,3 litres aux 100 kilomètres). A cette époque, les seuls véhicules capables d’une pareille performance ressemblent davantage à des bobsleighs qu’à des voitures, ne peuvent accueillir qu’un seul passager et surtout, ne sont pas homologués pour la route.
Dès les débuts du projets, Joe partage son expérience sur les réseaux sociaux, et très vite il n’est plus vraiment seul dans son garage. Quarante bénévoles, issus de quatre pays différents, lui permettent de présenter un premier prototype fonctionnel au bout de trois mois.
Conçue et assemblée pour un coût dérisoire, sans réelle expérience de la construction automobile, la voiture se hisse au 10e rang du concours dans la catégorie grand public, devant une centaine de concurrents à gros budget tels que Tata Motors, Tesla ou encore le MIT.
Comme un Lego
Cette « boîte à chaussure orange » se classe 10e au concours – devant bien des marques mondialement reconnues. Surtout, elle constitue le point de départ d’un développement ambitieux. A la base du projet figure la mise en œuvre d’un process aux antipodes des lourdeurs de l’industrie traditionnelle, dont les investissements en chaînes de production et pièces standardisées sont si chers que tout changement en devient découragé. L’équipe de Joe Justice s’étoffe vite. Désormais, plus de 150 bénévoles, issus de 18 pays, constituent son vivier de développeurs. Des anciens d’Apple, des bidouilleurs anonymes, des geeks utopistes… Ensemble, ils imaginent la voiture comme on crée un logiciel. L’informatique remplace la chaîne de montage. La « méthode agile » de l’ « extreme manufacturing » permet, grâce à un partage de l’information et des objectifs en temps réel, de lancer des cycles de développement très courts. Des « sprints », comme a théorisé Joe, qui aboutissent, tous les sept jours, à la conception d’un modèle amélioré. Soit un work in progress basé sur des simulations en continue. Voilà donc la voiture conçue comme un Lego. Les huit éléments qui la composent restent compatibles quels que soient les améliorations apportés à chacun. On peut, par exemple, obtenir un nouveau châssis tout-terrain en Thaïlande pendant qu’un collègue italien peaufinera un tableau de bord new look.
Des clients co-créateurs
Cette approche décloisonnée permet ainsi une participation ouverte au processus d’innovation et de fabrication. Les clients, de fait co-créateurs, sont partie prenante des améliorations de la voiture orange. Une voiture dont chaque exemplaire est unique. Au moyen de la méthode « scrum », qui dispache les rôles de chacun, et de logiciels open souce (Dropbox…) Wikispeed est déjà parvenu à produire un modèle de voiture sportive pour 17 000 dollars (vendue 25 OOO). Les performances sont impressionnantes : 2,3 l de consommation pour 100 km, 239 km/h en vitesse de pointe, et une accélération de 0 à 100 km/h en 5 secondes. Le tout avec des matériaux innovants et ultra-légers, des systèmes électroniques simples et une motorisation faisant la synthèse des dernières avancées techniques. Cette voiture, désormais homologuée pour la route, devrait, à terme, pouvoir sortir de micro-usines disséminées sur la planète (des tests sont en cours pour limiter l’espace de fabrication à un simple rectangle peint au sol). Elle devrait coûter, au final, seulement 1000 dollars l’unité. Et Joe Justice n’est pas un monomaniaque de la « bagnole » : Wikispeed développe, en parallèle, des vaccins et appareils de santé « open source ».
Photo d’illustration prise par Stan Jourdan lors d’un atelier organisé à Paris en 2012 par Ouishare et La Fing