Xavier Lecocq et Benoît Demil sont les chercheurs de référence français sur les modèles économiques, ils animent le site http://www.businessmodelcommunity.com/ qui regroupe la communauté internationale des chercheurs sur les modèles économiques.
Xavier et Benoît sont professeurs des universités à l’IAE de Lille (Université Lille 1). Xavier est également professeur à l’IESEG. Ils ont publié avec Vanessa Warnier de nombreux articles de référence sur les modèles économiques. Leurs recherches concernent aussi bien les types de modèles économiques que leur évolution au cours du temps ou leur impact sur la performance.
Ils nous ont proposé une discussion autour de la dynamique des modèles économiques, une dynamique qui s’articule à trois niveaux :
- Au niveau d’une entreprise : qu’est-ce qui fait qu’une entreprise voit son modèle économique évoluer au cours du temps ? Quelle(s) forme(s) prend cette évolution ?
- Au niveau d’un modèle économique particulier : quel est le cycle de vie d’un modèle économique ? comment se diffuse-t-il ? comment évolue-t-il ?
- Au niveau d’un secteur : quels modèles économiques cohabitent au sein d’un secteur ? quelle est la dynamique concurrentielle entre modèles économiques ?
Nous publions ici le deuxième des trois thèmes : quel est le cycle de vie d’un modèle économique ? comment se diffuse-t-il ? comment évolue-t-il ?
Voir l’article précédent sur l’évolution du modèle économique au cours du temps
Si on applique la théorie du cycle de vie d’un produit au modèle économique, on peut dire que celui-ci passe par quatre étapes : naissance, croissance, maturité et déclin.
Concernant la naissance, on constate qu’un nouveau modèle économique a du mal à s’imposer d’emblée.
Il faut plusieurs années pour qu’un modèle économique efficient et légitimeémerge. Il y a plusieurs raisons à cela.
- D’abord, il y a des effets d’apprentissages, d’expérimentation. Lorsqu’un nouveau modèle économique apparaît, il n’est pas efficient tout de suite (y compris pour des raisons d’échelle) et plusieurs cycles d’expérimentation sont nécessaires pour qu’il trouve une place dans le paysage concurrentiel.
- Ensuite, certains facteurs institutionnels ne jouent pas en faveur d’un nouveau modèle économique. Les règlementations, les normes sectorielles et les rapports de force qui se sont établis sont autant de freins à l’émergence de nouveaux modèles.
- Enfin, lorsqu’il apparaît, d’autres modèles économiques sont déjà présents sur le marché. Certains sont plus efficients et concurrencent ce nouveau modèle.
Dans la phase de croissance, un modèle économique commence à se généraliser en gagnant la compétition contre les autres modèles.
Les acteurs eux-mêmes ont conscience de l’existence de ce modèle et les nouveaux entrants tendent à l’adopter car ils n’ont pas les rigidités d’acteurs en place.
On peut prendre par exemple le low cost, qui s’est diffusé largement dans le transport aérien après avoir montré sa performance extraordinaire pour un ou deux pionniers. Dans cette phase, les organisations qui identifient un modèle économique efficient cherchent à se l’approprier. Cependant, les tentatives d’appropriation sont souvent des échecs partiels. La raison principale est que les entreprises perçoivent uniquement la « proposition de valeur » de ce nouveau modèle économique, or un modèle économique c’est l’interaction entre la proposition de valeur, les ressources et l’organisation.
C’est ainsi que des dizaines de nouvelles entreprises de transport aérien low cost ont fait faillite assez rapidement. Les tentatives d’incorporation de ce modèle par les grandes compagnies ont également montré des résultats mitigés comme pour Air France ou Lufthansa.
Cela signifie qu’un modèle économique est difficile à imiter même si certains facteurs comme les principales ressources détenues ou les propositions de valeur sont publiques et connues par tous les concurrents. Il reste une part ‘invisible’ du modèle (souvent l’organisation) qui créé une ambiguïté causale (une difficulté à comprendre la relation entre des choix et les effets sur la performance).
Pendant la phase de maturité du modèle, de nombreuses organisations du secteur l’ont adopté.
Il apparaît comme totalement légitime aux yeux des acteurs et des pouvoirs publics qui ne lui mettent plus (ou moins) de barrières. A l’échelle du secteur, les années de tâtonnements et d’expérimentations des phases précédentes ont permis d’arrivée à une certaine stabilisation de la performance du modèle économique.
Les adopteurs présentent moins d’écart entre leurs performances respectives. La légitimité acquise par le modèle lui permet également de passer d’un secteur à d’autres (low cost, gratuit, open source en sont quelques exemples). Ces phénomènes sont renforcés quand certaines entreprises agissent délibérément pour favoriser l’imitation de leur modèle économique pour augmenter leur légitimité. C’est d’autant plus vrai quand l’objectif est social. On peut prendre l’exemple du micro crédit et de la Grameen Bank. Ce modèle économique innovant a été délibérément diffusé massivement et a conduit son créateur à obtenir le prix Nobel de la paix.
La phase de déclin d’un modèle économique est liée à l’arrivée de nouveaux modèles qui s’avèrent performants ou pour lesquels les acteurs en place anticipent une performance forte.
La phase de déclin n’est cependant pas inévitable et certains modèles économiques retrouvent une jeunesse par de petites modifications ou par une diffusion dans d’autres secteurs. Par exemple les grands magasins ont su se réinventer. Ils auraient pu disparaître avec la domination de la grande distribution et du e-commerce mais ils sont retrouvé une place, notamment en améliorant la proposition de valeur et en l’ajustant à leurs ressources.
Prochainement, le dernier thème sur la dynamique des Modèles économiques :
Au niveau d’un secteur : quels modèles économiques cohabitent au sein d’un secteur ? quelle est la dynamique concurrentielle entre modèles économiques ?
