Après Mutinerie, c’est le tour de La Muse à Genève et Le Comptoir Numérique à Saint Etienne d’être passé au crible des 7 principes de l’universal design par Antoine Burret et Yves Zieba.
Antoine Burret a travaillé et a étudié des tiers lieux pionniers tels que La Muse à Genève et Le Comptoir Numérique de Saint-Etienne. Il nous livre son sentiment personnel par rapport à chacun des 7 principes UD avec un regard unique et aiguisé sur l’impact que ses tiers lieux ont sur l’entrepreneuriat.
Principe 1 : Usage Equitable
Le caractère et la personnalité de chacun des usagers des tiers lieux, principalement des entrepreneurs, entraîne des inégalités potentielles par rapport à l’usage des espaces de collaboration et de coworking. On ne réagit pas tous de la même façon à la vie en groupe, à la potentialité d’un groupe.
Certaines personnes ont besoin de beaucoup de temps pour s’adapter au groupe. D’autres vont vampiriser la communauté. Ces derniers peuvent, à terme, générer des problèmes de contribution – rétributions. Ceci peut aller jusqu’à la fin de l’usager, c’est-à-dire que soit l’usager quitte le tiers-lieu, soit il est rejeté par les autres usagers et par la communauté.
L’accès à l’espace n’est malheureusement pas toujours équitable, par exemple, lors des rencontres mondiales du logiciel libre, organisées en 2012 à La Muse, à Genève, une personne à mobilité réduite, n’a pas pu se joindre à des réunions d’organisation de l’événement car au niveau architectural, l’espace n’était pas accessible à tous.
Au sein d’un même tiers lieu, il existe parfois une disparité entre les activités des acteurs, qui rend leur cohabitation difficile. Par exemple, certains ont une activité téléphonique intense (avec un volume sonore en conséquence), d’autres font des séances de créativité, d’autres coworkers ont besoin de concentration pour coder.
Pour concilier tout cela, il faut que les acteurs du lieu soient bienveillants et que les différents espaces aient une fonction
Ils doivent être soient conçus pour pouvoir permettre soit un travail collaboratif, soit une activité calme, soit un espace téléphonique et des réunions clients ou confidentielles, avec un système de réservation des salles. D’expérience, soit tu modifies le lieu (dans la limite du possible), soit tu t’adaptes.
Dans certains espaces, notamment à Genève, cela peut devenir un vrai problème. Le Comptoir Numérique rend modulable l’espace en fonction des usages. Il faut idéalement arriver à être prévoyant et concevoir le lieu pour tous les usagers possibles et pour tous les usages possibles.
L’influence de l’espace de travail sur le processus de création et d’innovation, ainsi que sur les situations de travail est énorme.
Si l’espace est trop cloisonné, cela nuit aux « accidents » potentiels de serendipité que nous cherchons à préserver et à créer. Chacun doit se sentir à l’aise et trouver un certain confort. Le Comptoir Numérique par exemple a un espace qui se transforme selon les besoins et en fonction des usages, en Fablab ou en espace de conférence. L’accueil doit aussi être modulaire. La clé de la réussite, c’est de combiner le fixe, car il y a un besoin de référent et le modulaire.
Parmi les problèmes que nous avons rencontrés, à La Muse, lorsque nous organisons un évènement à 17h, pour préparer la salle, nous sommes contraints de changer l’espace et de demander aux acteurs d’arrêter de travailler.
Principe 2 : Souplesse d’emploi
Deux principes sont fondamentaux : mobilité et modularité, les deux vont ensemble.
La modularité intellectuelle : le concierge du tiers lieu va modifier les différents espaces, en fonction de l’usage et des retours qu’il ou elle collecte. Mobilité : le mobilier doit être mobile pour que l’espace soit modulaire, afin de créer de nouveaux espaces, qui créent de nouvelles situations de travail.
Avec l’inertie des habitudes, il est très facile de rester toujours au même endroit, toujours avec les mêmes personnes. L’espace et l’animation de l’espace doivent faire tourner les coworkers car le tiers lieux doit permettre de créer les rencontres.
Il faut un espace fixe et un espace nomade. Par les formats d’animation, les personnes des espaces fixes vont rencontrer les personnes des espaces nomades. A titre personnel, je pense que le tiers lieu idéal, c’est approximativement 25% d’espace fixe pour les personnes référentes, et 75% d’espaces nomades pour les personnes « de passage ». Il arrive que ce ratio soit inversé, car l’espace doit s’assurer de remplir ses caisses. Les espaces fixes ont des avantages financiers considérables, mais aussi de gros inconvénients (moins de créativité, risque d’endormissement des entrepreneurs, risques d’effets cocooning).
Une fois que l’entrepreneur s’installe dans sa zone de confort, dans son cocon, il/elle prend moins de risques. En moyenne, les entrepreneurs restent 1 à 2 ans. Certains n’ont pas su quitter le tiers lieu au bon moment.
Le tiers lieu doit préserver le mouvement et le risque.
L’autre grande idée est la souplesse d’emploi du temps. Dans un tiers lieu, l’entrepreneur va et vient quand il veut, il organise le travail comme il veut, on part quand on veut. C’est vraiment ce que les entrepreneurs viennent chercher : Ne pas se limiter à des horaires qui ne leur correspondent pas du tout. C’est un des apprentissages majeurs de mon expérience. Beaucoup des entrepreneurs que j’ai rencontré ont besoin de flexibilité, de pouvoir gérer un imprévu familial ou professionnel. Certains entrepreneurs savent que de 14h à 17h, ils ne sont absolument pas productifs. Pour des personnes salariées c’est un peu plus compliqué à gérer car ils sont souvent payées en fonction des heures travaillées dans leurs contrats.
Les entrepreneurs qui réussissent dans ces lieux ne comptent pas leurs heures. Tout dépend si les personnes sont payées à l’heure ou au livrable, cela change tout dans le comportement. Par rapport au créateur, les rencontres qui se produisent dans les tiers lieux peuvent aboutir à de de nouveaux mandats, de nouvelles missions ou de nouvelles passions qui se créent. On entre dans un tiers lieu avec un métier, un projet. La communauté identifie vos talents (parfois insoupçonnés). Ce talent est pris par la communauté.
On ressort du tiers lieu parfois avec un nouveau métier, un nouvel emploi, un nouveau projet.
Ca peut changer ta vie professionnelle. On trouve beaucoup d’entrepreneurs en rupture dans ces espaces là. C’est dans ces tiers lieux qu’ils rebondissent, se créent leur propre emploi, leur propre métier.
Principe 3 : Utilisation simple et intuitive
Il existe souvent une présentation visuelle des acteurs sur les murs du tiers lieu.
Le concierge est là pour guider et rendre l’utilisation simple et intuitive. En règle générale, ces espaces sont très « roots », pas « guindés », il y a des dessins au mur. Il y a de l’intuitif dans la façon dont l’espace est créé et dans la façon dont l’espace est utilisé.
La base du coworking c’est la maison. La Muse est un exemple d’espace qui à la base était vide. Se sont les usagers qui l’ont rempli avec du mobilier de récup, des vieux canapés, des objets qui ne servait plus dans un grenier. Ces choix mobiliers se font après discussion et accord entre usagers du lieu.
Il y a un processus d’autonomisation du coworker, qui va amener ce dont il a besoin et ce qu’il peut partager avec la communauté.
Les problèmes et les retours transmis au concierge sont gérés aussi de façon autonome. Le coworker va s’emparer du problème pour adapter le lieu ou créer un moment d’interaction lorsque personne ne sait comment résoudre un problème. Chaque chambardement ou changement dans l’espace créé du lien. C’est le signe d’un espace qui fonctionne. Le rôle du concierge n’est pas de devenir le bureau des doléances et des frustrations en tout genre. L’état d’esprit doit être « on va trouver une solution ensemble ». Le lieu est conçu par les usagers.
Principe 4 : Tolérance aux erreurs et à la sécurité
La tolérance aux erreurs est très présente dans la manière itérative d’avancer dans son parcours d’entrepreneur. Tu te trompes, ce n’est pas grave. Il y a beaucoup de bienveillance envers l’apprentissage du métier d’entrepreneur.
Pour la sécurité liée à l’information, il est très difficile de venir dans ce type de lieu avec une optique « propriétaire », une envie de tout cacher, de tout garder confidentiel, avec une peur de se faire piquer ses idées. Les sondages de Deskmag sont très intéressants sur ce sujet. Ils montrent que personne n’a peur de laisser son portable, ou son sac, tout le monde a confiance à l’intérieur du tiers lieu.
Ce sont des espaces en émergences, si tu es là, c’est que tu as compris qu’il y a un certain état d’esprit, certaines valeurs humaines. Elles sont bien définies dans chaque lieu, mais il n’y a pas de consensus universel sur cette liste de valeurs, celles que je peux citer et qui sont les miennes sont le partage, la bienveillance, incompatibilité avec le système classique avec un mode de fonctionnement normé et une forte volonté d’innover. Lorsqu’un système n’est plus fonctionnel, il faut recréer et c’est à mon sens dans les Tiers-lieux que cela se passe.
Pour la sécurité, le risque vient du fait que certaines personnes viennent dans les espaces de coworking uniquement parce que ce n’est pas très cher. Comme on ne contrôle pas forcément l’activité de chacun il peut exceptionnellement apparaître des problèmes. Un coworker a par exemple réussi à travailler dans un de ces espaces pendant un temps, avant que l’on se rende compte qu’il organisait un trafic illégal de cartes SIM. Il a alors fallu lui demandé de partir.
Dans un autre espace, un client mécontent d’une des start up résidente, s’en est pris à un stagiaire employé comme concierge. Il pensait que l’espace entier appartenait à la start-up. Cela aurai put vraiment mal se terminer si la communauté n’avait pas protégé le jeune stagiaire.
En ce qui concerne la tolérance à l’erreur, il existe une matrice, qui permet à l’entrepreneur de visualiser les différentes apports des Tiers-Lieux sur le parcours de création.
On s’aperçoit que pour les entrepreneurs, l’un des principaux atouts est de pouvoir constamment confronter son projet, une sorte de crash test, un apprentissage qui permet de ne pas avoir peur de se tromper, de se faire laminer, c’est un avantage. Tu donnes du brouillon, et tu te fais laminer, et finalement c’est par ces échanges que l’entrepreneur va solidifier. La communauté joue ici le rôle de marché test.
Ces espaces sont faits pour créer, concevoir, construire et solidifier les projets. Par contre, dehors c’est cruel. Il faut tout de même se préparer à sortir du tiers lieu pour se confronter au monde réel.
Principe 5 : Interculturel
Différents métiers, âges, formation, pays, tout cela se mélange et se côtoie dans les tiers lieux. Chaque entrepreneur est différent et ces lieux sont des lieux de rencontre et de mixité. Il n’est pas rare de voir un fiscaliste, un programmateur de jeux video et un formateur se côtoyer autour d’un café.
Ce que ces personnes ont en commun, c’est de tenter faire croître un projet auquel ils croient, de vivre bien, en accord avec ses valeurs et d’apporter sa pierre à l’édifice.
Certaines personnes peuvent ne pas s’y sentir à l’aise ou pensent être au dessus de tout cela et de ne rien pouvoir en retirer. En général, elles se trompent ou ne sont pas venus pour les bonnes raisons. L’apport potentiel du tiers-lieu sur le projet est largement sous-estimé.
Principe 6 : Critères de faisabilité économique
Pour le porteur de projet, c’est précisément ce qui différencie le tiers lieu des autres structures d’accompagnement (type « accelerateur »). Il n’y a pas d’analyse économique du projet, comme critère d’entrée dans le lieu. Tu vas vite te rendre compte par toi-même grâce à ton parcours au sein du tiers lieu si ton projet soit réalisable économiquement parlant,. Comme il n’y a pas nécessairement un gros investissement financier pour démarrer, tu vas pouvoir pivoter.
Ces espaces là se situent au niveau de la volonté de créer, de l’idée, de l’expérimentation, ils aident à mettre le pied à l’étrier. Tu vois vite si tu es fait pour ce métier d’entrepreneur. Tu prends six mois de ta vie pour tenter.
Pour le modèle d’affaires des tiers lieux, certains se transforment en bailleur pour survivre économiquement, quitte à se dénaturer. D’autres optent pour des financements publics, ce qui est évidemment très risqué par les temps qui courent. L’étape suivante est de parvenir à ce que ces espaces créent de la valeur économique et pas seulement sociale. Les tiers lieux sont à l’évidence des viviers d’entrepreneurs en puissance, qui permettent à ces acteurs de créer de la valeur et d’émerger.
Principe 7 : Innovation associée au consommateur
On retrouve les mêmes mécanismes que dans le Lean Start Up, les NetUps, les initiatives prémarché, les prototypes rapides,et le minimum viable product. Il y a un grand nombre d’entrepreneurs qui viennent pitcher et voir comment les personnes réagissent. Le PicNic de La Muse est par exemple l’occasion pour un porteur de projet d’entendre ce qui va et ne va pas.
Un contre exemple des bienfaits de ce principe s’est produit : une start up, s’est développée grâce à la communauté d’un Tiers-Lieux. Chaque étapes stratégique, logo, offre, etc. était discuté avec la communauté. Cependant la startup prenait mais ne donnait rien en retour. La communauté à fini par exclure la startup. C’est indiscutablement une des limites des tiers lieux, et c’est aussi ce qui m’a amené à m’intéresser aux modèles de contributions / rétributions, aux modèles du libre et aux forges, comme base de connaissance partagée.
Figure 1. X.Pierre, A.Burret : Apport des espaces de coworking
Documents de référence :
DEMOCRATISER LES TIERS LIEUX, Revue Multitudes, numéro 52, Sept 2013, Paris
Au delà des startups, les netups, Revue économique et social, vol. 70 n°4 décembre 2012, Lausanne
X.Pierre, A.Burret«De nouveaux dispositifs accompagnant la création d’entreprise, Enseignement, formation et accompagnement dans le champ de l’entrepreneuriat, Organisé par l’ESC Chambéry et l’EM Lyon, Janvier 2013
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