De nouveaux business models collaboratifs en peer-to-peer émergent, quelles sont les conditions de réussite de ces modèles ? Plongeons dans le monde de l’énergie et de l’habitat durable avec Thibault Mercier interviewé par Yves Zieba.
A l’heure de la COP21, quelles seront les transformations de l’énergie durable et de l’habitat du futur ?
Posons le contexte : la COP21. Une conférence internationale où la plupart des pays de la planète vont se rencontrer pour prendre des décisions déterminantes pour le futur. Les pays ont compris que la question du changement climatique doit se gérer de manière collective.
Si on ne fait rien, nous savons que les températures terrestres pourront augmenter de 4 ou 5 degrés Celsius à l’horizon 2100. Avec les conséquences que nous connaissons : cyclones, amplitudes thermiques, disparitions d’îles, exodes climatiques, problèmes agricoles…
On n’élimine pas 80% du mix énergétique mondial en claquant des doigts.
Le modèle actuel n’est pas viable. Lors de la COP21, les pays vont essayer de trouver une solution juridique contraignante pour limiter l’augmentation de la température terrestre à 2 degrés. Augmentation qui aurait des impacts certes, mais que les scientifique jugent gérables. Il faudra trouver un consensus pour cela.
Les deux axes de transformation du monde énergétique sont les suivants : moins consommer (sobriété), et consommer plus d’énergies renouvelables. Ces dernières devraient progressivement se substituer aux énergies fossiles, qui représentent aujourd’hui 80% du mix énergétique mondial (30% charbon, 30% pétrole, 20% gaz naturel). Mais, la transition énergétique doit être réaliste. Elle va se faire sur du long terme.
Le monde énergétique de demain sera sobre, renouvelable et numérique.
Deux grandes transformations convergent actuellement : la transition énergétique et la transformation numérique.
Jeremy Rifkin, économiste américain, l’explique bien dans son ouvrage sur la Troisième Révolution Industrielle.
Dans le cadre de la lutte contre le changement climatique, nous assistons actuellement à de profondes évolutions, qui auront des impacts sur nos habitats. Elles reposent sur cinq piliers principaux :
- Le énergies renouvelables décentralisées. On passe d’un modèle actuel où l’énergie est produite de manière centralisée, à un modèle où de multiples points de production vont se développer, notamment le solaire photovoltaïque ou l’éolien.
- Les réseaux électriques intelligents, les smartgrids, manifestation de l’émergence de l’énergie digitale et de l’habitat connecté. Grâce aux réseaux électriques intelligents, chacun pourra être prosumer, c’est-à-dire la fois producteur et consommateur d’énergie.
- La mobilité durable, notamment le développement de l’autopartage, et du véhicule électrique, qui pourrait même devenir autonome. Par exemple, BestMile, une startup de l’EPFL développe des solutions de mobilité électrique autonome.
- Les bâtiments producteurs d’énergie. Les bâtiments de demain consommeront de moins en moins d’énergie, voire produiront de l’énergie, notamment photovoltaïque.
- Le stockage de l’énergie, le développement des batteries. L’initiative Powerwall de Tesla en est un bon exemple. Nos véhicules électriques serviront peut-être demain de batteries de stockage pour nos maisons.
Ces innovations créent-elles des opportunités de nouveaux business models collaboratifs et ouverts ?
Oui, tout à fait. Concernant les technologies, on peut espérer que l’internet des objets, et notamment celui de l’énergie, s’ouvre. On peut imaginer partager les maquettes de montage de prises électriques ou de thermostats intelligents et les mettre en open source. Pourquoi pas des panneaux solaires ou des micro-éoliennes en open source ? Des initiatives en ce sens portées par des Makers ont émergé récemment.
Au-delà des technologies, il y a un deuxième axe d’innovation qui est aussi important. Les innovations relationnelles. Demain, nous pourrons être prosumers, c’est-à-dire producteurs et consommateurs d’énergie. Pourquoi ne pas imaginer un monde où l’énergie s’échangera entre maisons, dans une logique de peer-to-peer, ou de C to C (Consumer to Consumer) ? Je produis de l’énergie locale, et je la rends disponible ou je la vends à mon voisin. On entre ici dans un univers possible de l’énergie collaborative.
Pour que cela fonctionne, il faudra que l’énergie devienne un véritable sujet d’intérêt pour les consommateurs. En effet, étant disponible et bon marché, et non tangible (elle ne se voit pas), l’énergie n’est pas un sujet auquel on pense tous les matins. On doit alors essayer d’augmenter l’engagement des consommateurs, c’est-à-dire favoriser leurs initiatives. Cela passe par exemple par un mouvement de gamification, c’est-à-dire la création d’environnements ludiques et créatifs, par le web ou le mobile, pour donner l’envie de s’engager.
Demain, un Napster de l’énergie ?
On le voit aujourd’hui, des business models collaboratifs émergent dans les places de marché online du solaire photovoltaïque. Ces exemples sont plus dans le “semi-open” que vraiment dans l’open. Quelques exemples dans le mouvement Cleanweb, à l’intersection de la transition énergétique et du numérique :
- Piclo (https://piclo.uk/) est une place de marché online londonienne, dans le secteur du photovoltaïque. Créée en Octobre 2015 par Open Utility, elle permet à des particuliers d’échanger l’énergie en peer-to-peer. Certains experts du secteur l’appellent déjà le eBay du solaire.
- Yeloha (http://www.yeloha.com/), aux Etats-Unis, à Boston, est un également un réseau du solaire.
- Solar Mosaic (https://joinmosaic.com/), startup californienne, s’est quant à elle positionnée sur le crowdfunding de projet solaires. GigaOM l’appelle le Kickstarter du solaire.
Bref, on le voit bien, ca bouge. Ca cogite chez les entrepreneurs du web de l’énergie durable.
Ce type de business models pourraient se développer dans le futur, en lien avec le déploiement des smart grids, des smart homes, du stockage de l’énergie, des véhicules électriques et des objets énergétiques intelligents. Demain, on peut imaginer des places de marchés online, auprès desquelles on optimiserait nos production d’énergie solaire, mais aussi l’utilisation de nos véhicules électriques et de nos batteries.
On pourrait aller vers des business models profondément disruptifs, avec des nouveaux Blablacar, Airbnb ou Napster de l’énergie et de l’habitat durables. Pourquoi pas ?
Quelles sont les conditions de réussite de ces nouveaux modèles ?
Elles sont techniques, réglementaires, économiques, sociales et éthiques.
Les modèles d’échanges d’énergie en peer-to-peer devront respecter des normes techniques. Un réseau électrique doit être équilibré. Les métiers de l’électricité sont très pointus. Il y a un besoin de compétences techniques très fortes pour équilibrer les productions et consommations d’énergies électriques. Cela ne s’improvise pas. Les compétences web ne sont pas suffisantes pour aborder ce type de secteur : la compétence métier constitue une forme de barrière à l’entrée.
De plus, on le voit, les questions réglementaires, liées à la protection des données des consommateurs, seront des points importants. Techniquement, le Big Data permet de mieux connaître les consommateurs. L’anonymat des données devra être garanti pour qu’il y ait une confiance dans ce type de modèle économique.
Il y aura aussi des conditions de réussite économique, liées à la viabilité de ces business models collaboratifs. Les business models de l’économie du partage permettent-ils de financer l’intégralité des investissements énergétiques ? Aujourd’hui, il est trop tôt pour dire si des modèles viables sont possibles. Mais, nul doute qu’il y a beaucoup de choses à inventer.
Nous en parlions précédemment, les barrières sociales et comportementales sont un point clé. Aujourd’hui, l’énergie ne fait pas forcément rêver. Créer de l’engagement et de l’expérience client sera nécessaire pour que les modèles coopératifs atteignent une taille critique.
Enfin, les questions éthiques. Je crois qu’il faut être vigilant sur les risques de dévoiement de l’économie du partage. L’économie du partage doit être coopérative, durable, sincère, et ne doit pas être une opportunité de contournement des réglementations.
On le voit, l’énergie et l’habitat du futur seront de profonds catalyseurs d’innovations collaboratives.
Gageons que la COP21 à Paris donnera l’impulsion internationale nécessaire pour une stratégie de transition énergétique à 2 degrés.
Un avenir enthousiasmant, durable, inventif et coopératif ! De nombreuses opportunités d’entreprendre !
Dommage d’avoir pris deux marketeux pour écrire l’édito.
Ingé + bizness aurait donné un peu plus de profondeur
ça manque un peu de tanins
cf @LDB ping facebook